Définition de l’empathie
Selon Carl Rogers, l’empathie consiste à « percevoir avec précision le système de référence d’une autre personne avec les composants émotionnels et intellectuels qui s’y rattachent, comme si on était la personne elle-même, mais sans jamais perdre sa propre personnalité 1». Autrement dit, il faut le faire avec modération, sans fondre sa propre identité dans une autre. Il ne faut pas confondre l’empathie avec la sympathie, car on peut avoir de la sympathie pour quelqu’un sans vraiment comprendre sa situation 2.
La sympathie s’exprime par une sensibilité à l’égard de quelqu’un, fondée sur nos propres sentiments et sur notre expérience. L’empathie pour sa part, fait un pas de plus dans un effort pour comprendre les sentiments et l’expérience de cette per- sonne 3. Quand on éprouve de la sympathie pour une personne, on peut être affecté personnellement par la situation, au point de compromettre l’état émotionnel de cette personne. À l’inverse, celui qui manifeste de l’empathie sera motivé pour assister la victime dans la résolution de la situation qu’elle expérimente 4. Ainsi l’empathie dispose d’une composante pratique, servant de catalyseur pour un changement positif.
On pourrait affirmer que certains ne sont pas naturellement portés vers l’empathie, qu’ils n’ont pas les capacités émotionnelles permettant d’avoir de l’empathie pour les autres. Bien que cela puisse être vrai dans certains cas, les recherches montrent que l’on peut apprendre à ex- primer de l’empathie 5. Elles montrent aussi que si une personne manifeste une authentique empathie, c’est plus le produit d’un choix qu’un comportement naturel 6. Ceux qui semblent naturellement emphatiques le sont en réalité à la suite de choix effectués tout au long de leur vie.
L’empathie est donc une tentative délibérée de comprendre l’univers intérieur de quelqu’un, et une capacité qui peut s’apprendre et se pratiquer. Elle peut avoir un impact considérable sur la
volonté d’atteindre l’autre en construisant des ponts par-dessus le gouffre qui nous en sépare.
Les barrières naturelles de l’empathie
L’égocentrisme est peut-être une des sources les plus communes de division. En tant qu’êtres humains nous voyons naturellement les autres et les événements au travers de nos préjugés 7. Inconsciemment et de façon erronée, nous pensons que tous partagent nos valeurs, nos normes, notre éthique et nous sommes décontenancés quand une personne de notre entourage les viole. Nous supposons que les autres sont plus proches de nous qu’ils ne le sont en réalité 8. Nous nous attendons à ce qu’ils parviennent aux mêmes conclusions que nous sur certains événements et nous escomptons qu’ils prennent la même décision que nous prendrions dans les mêmes circonstances. Ainsi, nous sommes empêchés de comprendre leur point de vue, et les classons dans une certaine catégorie.
Nous n’arrivons pas à comprendre les autres parce que nous ne prenons pas le temps de les comprendre. Parfois nous classons leur caractère à la suite d’un simple contact, et nous leur collons une étiquette sur la base de ce contact 9. À d’autres occasions nous les classons sur la base de fausses informations que nous avons reçues sur le groupe auquel ils appartiennent 10. Pour une raison ou une autre, à cause d’informations erronées ou incomplètes sur quelqu’un, nous émet- tons sur lui un jugement.
Mais pour que l’empathie fonctionne de l’un à l’autre, nous devons accepter de reconnaître que nous sommes nous-mêmes affectés par ces tendances et ces limitations toutes humaines. Nous devons reconnaître que les autres fonctionnent à partir d’un cadre de référence totalement différent du nôtre, et nous efforcer de le comprendre. Il nous faut re- connaître que nous entretenons des préjugés sur des individus ou des groupes de personnes, et choisir de les combattre, car ils nous empêchent de comprendre le comportement des autres. Ce faisant, nous renversons les barrages qui font obstacle à l’empathie.
Implications de l’empathie
L’empathie est indispensable au maintien de l’harmonie sociale 11. Quand les per- sonnes sont disposées à mettre de côté leurs sentiments personnels et font l’effort de se mettre à la place des autres, elles peuvent maintenir la paix entre elles. Une telle disposition constitue une aide incomparable pour raccommoder entre eux les membres d’une Église divisée.
L’empathie permet le dialogue entre des individus très différents 12. Les gens cherchent naturellement à maintenir le statu quo ; ainsi, peu nombreux sont ceux qui s’associent à des gens différents d’eux-mêmes. Ils se drapent dans leur propre culture et sous culture, élargissant la faille qui les sépare des autres.Au moyen de l’empathie, de telles personnes peuvent prendre le risque de rompre leur propre zone de confort et, en prenant le temps de comprendre quelqu’un de différent, ils peuvent découvrir des éléments d’humanité qu’ils ont en commun et même apprendre d’eux quelque chose.
Ainsi, l’empathie non seulement aide des personnes ayant de grandes différences à se comprendre entre elles, mais les conduit à s’aimer les unes les autres 13. Ce type d’amour que Jésus à demandé à ses disciples de posséder (Jn 15.12- 14, 17), est le type d’amour qui, une fois qu’il saisit ce qu’une autre personne peut endurer, recherche activement son bien-être.
Imaginez ce qu’il en serait si les croyants à travers le monde se conduisaient ainsi. Imaginez les conflits qui pourraient être résolus une fois qu’on a réalisé que les différences se situent au cœur de certaines incompréhensions. Imaginez la peine qui pourrait être soulagée si les gens, au lieu de revenir à leurs mécanismes de défense, prenaient le risque de comprendre les autres. Rendez-vous compte de l’unité et de l’amour qui serait partagé si l’on choisissait de faire le pas qui consiste à montrer de l’amour de façon pratique à quelqu’un que l’on ne comprenait pas au premier abord.
Les implications pour le corps du Christ ne peuvent être sous-estimées. Nous réa- liserions la prière de Jésus que tous soient un (Jn 17.20,21). En agissant ainsi, le monde aurait un bel exemple de la paix dont il a besoin, et saurait que nous appartenons à Jésus, conformément à sa prière.
Les répercussions se feraient sentir dans les communautés. Au lieu de se chamailler et de se quereller, on s’attacherait davantage à la véritable mission. On prendrait le temps de comprendre ce qui est important pour les autres et on découvrirait ensemble une priorité commune qui sur- passe les programmes individuels.
Conclusion
Oui, l’empathie permet, même à ceux dont les différences paraissent inconciliables, d’ouvrir la porte à un authentique dialogue. C’est un élément déterminant pour établir une interaction pacifiée entre deux parties. Quand des croyants semblent opposés sur diverses questions, l’empathie peut paver la voie vers un type d’unité indispensable à notre existence et à notre mission.
Comme pour tout ce qui a de la valeur, il est rare que ce qui est nécessaire se dé- termine facilement. Comprendre véritablement le schéma de pensée de celui qui est différent de nous exige un gros effort. Même dans des situations où nous sommes convaincus d’avoir raison, il nous faut prendre du temps et dépenser de l’énergie pour apprendre comment un autre peut arriver à une conclusion différente de la nôtre. Si nous nous soumettons à un tel effort, nous en tirerons d’importants dividendes pour notre mission commune.
La promotion de l’empathie dépend des pasteurs. Peut-être que, comme tout autre rôle ou autre fonction, la position du pasteur présente de constantes occasions pour promouvoir l’empathie. Les nombreux conflits apparemment sans fin, les défis et les résistances qu’il rencontre sont des occasions de mettre en œuvre l’empathie de telle manière que cela deviennent pour lui une habitude. C’est au pasteur d’apprendre l’empathie à la communauté. Une fois que les membres ont fait l’expérience de la puissance de l’empathie, ils l’appliqueront entre eux, donnant un exemple d’interaction fonctionnelle. Des gens seront attirés à Christ en voyant à quel point ceux qui prennent son message au sérieux expriment son amour.
Finalement, si l’empathie peut devenir une habitude dans nos Églises, les différends, considérés un temps comme insurmontables, seront résolus. Cela ne se fera pas sans grande peine, mais ceux qui auront éprouvé sa puissance de guérison seront désireux de faire l’effort nécessaire. Finalement, nos Églises pourront s’unir, et nous verrons le royaume de Dieu agir avec puissance dans le monde.
DANIEL HARISSON est pasteur aux États-Unis.
Revue Ministry. Reproduit avec autorisation.
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1. Cité par Jean Decety, « Perspective Taking as the Royal Avenue to Empathy,» in Other Minds: How Humans Bridge the Divide Between Self and Others,eds. Bertram F. Malle and Sara D. Hodges, New York: Guilford, 2005, p. 145.
2.PaulLakeland,«TheHabitofEmpathy:Postmodernity and the Future of Church-Related College,» in Professing in the Postmodern Academy, ed. Stephen R. Haynes, Waco,TX: Baylor, 2002, p. 40.
3. Decety,“Perspective Taking,” p. 146.
4.Wallace J.Kahn and Catherine V.Lawhorne,Empathy: The Critical Factor in Conflict-Resolution and a Culture of Civility, West Chester, PA: West Chester University, 2003, p. 5A.
5. Idem, p. 5.
6. Decety,“Perspective Taking,” p. 154.
7. Leaf Van Boven et George Loewenstein, “Empathy Gaps in Emotional Perspective Taking,” in Other Minds: How Humans Bridge the Divide Between Self and Others, eds. Bertram F. Malle et Sara D. Hodges, New York: Guilford, 2005, p. 293.
8. Idem, p. 285.
9. Daniel R. Ames,“Everyday Solutions to the Problem of Other Minds: Which Tools Are Used When?” inOther Minds: How Humans Bridge the Divide Between Self and Others, eds. Bertram F. Malle et Sara D. Hodges, New York: Guilford, 2005, p.160–162
10. Idem, p.163 – 165.
11. Decety,“Perspective Taking,” p. 148.
12. Patricia H. Davis,“Women and the Burden of Empathy,” Journal of Pastoral Theology 3 (Eté 1993) p. 36.
13. Marie McCarthy,“Empathy Amid Diversity: Problems and Possibilities,” Journal of Pastoral Theology 3 (Eté 1993), p. 26.
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