Comprendre l’orthodoxie : quand une quête de santé excessive peut devenir nuisible
La patiente assise devant moi, âgée de 14 ans, insiste : sa décision de devenir végétalienne n’a rien à voir avec l’intimidation et le surnom « grassouillette » qu’on lui donnait à l’école primaire.
Elle y va plutôt de raisons reliées aux droits des animaux et au désir de devenir davantage « en santé ».
Chez cette étudiante première de classe, rien n’est sain : perte musculaire grave, membres squelettiques, ventre proéminent trahissant une insuffisance hépatique. Quand je la regarde, elle me rappelle ces posters qu’on voit montrant des enfants mourant de faim. Cependant, cette ado du quartier ne souffre d’aucun trouble alimentaire que j’aie déjà rencontré.
Cette consultation remonte à près de 10 ans. Depuis lors, j’ai rencontré de nombreux patients souffrant d’orthodoxie — un trouble de l’alimentation mû par une obsession de manger sainement — lesquels sont inscrits au Programme des troubles du comportement alimentaire au Centre comportemental de l’Université de Loma Linda. Le Manuel des diagnostics et des statistiques ne reconnaît pas officiellement l’orthodoxie comme un trouble du comportement alimentaire distinct. Mais en comprenant les signes précurseurs de l’orthodoxie, ses symptômes, et ses conséquences pour la santé, les professionnels de la santé mentale peuvent mieux traiter les patients qui en sont atteints.
C’est le docteur Stephen Bratman, qui, en 1996, a inventé ce terme pour mieux exprimer cette obsession de l’alimentation saine. À force de se concentrer sur une nutrition appropriée, on peut, avec le temps, aboutir
à un régime de plus en plus restrictif. Les patients atteints d’orthodoxie ne peuvent plus manger au restaurant avec les autres. Quand vient le temps de s’acheter de la nourriture, ils s’imposent une façon stricte de le faire, et se conforment à des modèles ritualisés de préparation et de consommation de nourriture. Ils consacrent un temps considérable à faire des recherches sur les aliments, les préservatifs, et les additifs. Finalement, leur régime devient tellement restrictif que leur santé physique en est compromise.
Il existe un lien significatif entre l’orthodoxie, l’anorexie, et le trouble obsessionnel compulsif (TOC). Jusqu’à 30 pour cent, des patients atteints d’anorexie souffrent simultanément d’un TOC. Une étude récente chez des patients souffrant d’orthodoxie a révélé lors d’un examen neuropsychologique leurs capacités limitées à traiter l’information et à résoudre des problèmes. De plus, à l’instar des patients souffrant d’anorexie et d’un TOC, ceux qui sont atteints d’orthodoxie ont des problèmes de mémoire, de planification, et de capacité de passer d’une tâche à une autre (« itinérance »). Alors que le domaine de la psychiatrie avance, nous espérons mieux comprendre les causes neurobiologiques sous-jacentes de l’orthodoxie.
Les gens obsédés par l’alimentation saine ont tendance à vérifier de façon compulsive les ingrédients de tout ce qu’ils mangent, et s’inquiètent exagérément de leur qualité. Ils peuvent aussi éviter de manger des aliments qu’ils ne considèrent pas « sains » ou « purs ». Et que dire de leur détresse lorsque des aliments sains ne sont pas disponibles !
Ceux qui souffrent d’orthodoxie restreignent aussi la quantité et le type d’aliments consommés, ouvrant ainsi la porte à la malnutrition.
Selon les experts, on trouve au nombre des signes précurseurs de l’orthodoxie des modèles d’alimentation rigides ; une inflexibilité extrême quant au régime ; une détresse émotionnelle grave lorsque les règles strictes de l’alimentation sont brisées ; une perte de poids extrême et drastique.
Au nombre des conséquences négatives potentielles de ce trouble, on compte l’endommagement permanent de la santé tel que l’ostéoporose, l’insuffisance rénale, ou la stérilité ; une baisse du système immunitaire et des déficiences nutritionnelles ; une instabilité émotionnelle et une faible estime de soi.
Je me souviens encore de la réaction de ma première patiente atteinte d’orthodoxie en voyant les conséquences de sa maladie mentale. Alors que nous révisions ensemble ses résultats de laboratoire, elle s’est mise à pleurer. « Je n’ai jamais voulu ça. Je voulais juste être en santé. »
Ainsi, en apprenant à comprendre les signes d’un trouble alimentaire et à y répondre, nous pourrons aider ceux qui, dans notre entourage, luttent éventuellement contre cette condition.
Melissa Pereau, M.D., psychiatre au Centre comportemental de l’Université de Loma Linda
Source : AdventistWorld.org
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