À bas les débats, vive l’équilibre !
Vous êtes-vous déjà senti frustré en lisant quelque chose, en entendant quelque chose, ou en discutant de quelque chose qui vous irrite ? Si c’est le cas, sachez que vous n’êtes pas seul. On a l’impression qu’il n’y a plus de dialogue, ou du moins, que les conversations sur un ton civilisé se font rares. Je ne parle pas ici de conversations sur la météo ou sur votre plat préféré. Ce sont plutôt les discussions sur la politique, la religion, et actuellement la pandémie qui engendrent des échanges enflammés. Il n’y a qu’à ajouter au sujet en question l’utilisation des médias sociaux, et c’est bientôt le feu aux poudres. Les extraits sonores, l’anonymat, et la surabondance déroutante d’informations provenant de différentes sources, tout ça provoque de fortes proclamations de conviction, même lorsque ce qui est proposé n’est, en réalité, qu’une simple opinion…
L’Église et ses membres ne font pas exception. Arrivons-nous à discuter lorsque les positions nous semblent extrêmes ? Lorsque ce que nous entendons nous semble être une théorie du complot ? Pouvons-nous éviter les débats inutiles ? Trouver un équilibre entre une conviction honnête et la gentillesse ? Bien sûr que oui !
DISCUTER… EN S’IGNORANT
À vrai dire, nous pouvons adopter un ton civilisé tout en nous ignorant les uns les autres. À un moment donné, j’ai regardé en ligne une session administrative d’une église au cours de laquelle un vote devait avoir lieu sur un sujet qui divisait l’église depuis des années. Les délégués présentaient leurs arguments sans reconnaître la valeur ou la perspective de « l’autre camp ». Ces gens ont davantage besoin d’un thérapeute familial que d’un président de séance, ai-je pensé. Le vote a eu lieu, et un camp a récolté plus de voix que l’autre. Après ce vote, est-ce que nous avons eu le sentiment de faire toujours partie de la même famille ? Je ne pense pas.
Pour mettre en évidence certaines des dynamiques que vous pourriez vouloir prendre en considération avant d’avoir une conversation, il serait peut-être utile de considérer un exemple de cas extrême : les théories du complot. Selon la psychologue Karen Douglas, les croyances en matière de conspiration sont « des tentatives d’expliquer la cause ultime d’un événement […] comme un complot secret d’une alliance secrète d’individus ou d’organisations puissants, au lieu d’une activité manifeste ou d’un événement naturel ». Elle ajoute : « Il peut être difficile de présenter de façon convaincante des preuves pour réfuter ce type d’idées, surtout parce que les experts sont souvent considérés comme faisant partie de la conspiration, et que de nouveaux éléments de preuves contraires peuvent être rationalisés dans un récit existant1. »
Une étude d’imagerie cérébrale a montré que les régions cérébrales responsables de la représentation de différentes perspectives ont tendance à se fermer lorsque les croyances sont fortement ancrées2. Karen Douglas a identifié les facteurs des théories du complot : épistémiques (ce que le récit explique), existentiels (leur importance pour les valeurs fondamentales, voire la survie) et sociaux (le sentiment d’appartenance qu’ils procurent à l’individu). Si l’on souhaite entamer une conversation honnête et respectueuse, en particulier avec une personne que l’on aime, il peut être utile de garder ces facteurs à l’esprit.
DISCUTER LES UNS AVEC LES AUTRES
Ellen G. White a écrit : « La méthode du Christ pour sauver les âmes est la seule qui réussisse. Il se mêlait aux hommes pour leur faire du bien, leur témoignant sa sympathie, les soulageant et gagnant leur confiance. Puis il leur disait : “Suivez-moi.”3 » Si toutes les conversations ne sont pas destinées à persuader les autres, en revanche, elles devraient idéalement comporter les éléments mentionnés dans cette belle citation. Lorsqu’on se mêle aux autres de façon respectueuse, on s’adresse implicitement au facteur social du système de croyances d’une personne. Lorsqu’on désire leur bien, on se connecte à l’élément existentiel.
Si la conversation difficile a lieu avec une personne dont vous êtes proche et que vous souhaitez préserver la relation, vous pouvez mettre en pratique les recommandations du psychiatre David Burns – « les cinq secrets d’une communication efficace », comme il les appelle4 : 1) écouter attentivement avant de donner votre avis, et vous efforcer de trouver honnêtement un terrain d’entente aussi large que possible ; 2) essayer de voir le point de vue de l’autre personne alors que vous cherchez à comprendre les expériences qui ont façonné sa vie ; 3) poser aimablement des questions qui peuvent aider à comprendre sa façon de penser ; 4) vous approprier votre expérience – c’est-à-dire employer « je » au lieu de « tu » pour exprimer ce que vous ressentez ; et 5) agrémenter la conversation de commentaires vraiment positifs sur le point de vue de l’autre alors que vous exprimez le vôtre.
QU’EST-CE QUI IMPORTE LE PLUS ?
Ceci dit, quels que soient vos efforts pour discuter et pour convaincre quelqu’un qui a des opinions que vous percevez comme étant extrêmes ou complotistes, vous risquez de ne pas y parvenir. Ce n’est pas par manque d’efforts ou de compassion que Jésus lui-même n’a pas pu avoir de conversations productives avec des personnes qui avaient des opinions extrêmes, comme les pharisiens (voir, par exemple, Mt 3.7 ; 19.3 ; 23.15,23,25). Les Proverbes contiennent des conseils clairs sur la somme de temps qu’on doit consacrer à ceux dont l’esprit est fermé (voir, par exemple, Pr 14.3-13). Et l’Ecclésiaste nous rappelle qu’il « y a un temps pour tout » (Ec 3.1).
Voici donc quelques suggestions.
Avant de vous engager dans une conversation, il peut être utile de connaître ce qui vous fait réagir négativement. Il y a peut-être des sujets qui, s’ils vous sont chers, ne méritent cependant pas de fortes réactions. Évaluez aussi quelle ampleur les sujets de désaccord ont dans vos valeurs et votre foi. Un autre bon conseil est de laisser votre amour-propre à la porte. Parfois, l’escalade d’une dispute procède davantage des sentiments que du fait d’avoir raison.
Par ailleurs, il est utile d’observer ce qui importe le plus pour vous : rester dans la grâce et être cohérent avec le coeur de votre foi chrétienne, ou avoir « le dernier mot ». Enfin, gardez à l’esprit que « [m]ieux vaut un homme patient qu’un guerrier ; mieux vaut celui qui se domine que celui qui prend une ville » (Pr 16.32, NBS).
Pour discuter entre nous, il ne suffit pas de connaître et de comprendre la psychologie des théories du complot, ni même la « bonne » technique pour communiquer efficacement. Nous avons besoin de l’esprit « qui était aussi en Jésus- Christ » (Ph 2.5). Par sa grâce, nous pouvons être unis à Christ, avoir le même amour, être unis en esprit et avoir une seule pensée, ne rien faire par ambition égoïste ou par vanité, mais avec « humilité […] regarder les autres comme étant au-dessus de [nous-mêmes] », ne pas chercher seulement nos « propres intérêts, [mais considérer aussi ceux des autres] » (Voir Ph 2.1-11).
De Carlos Fayard, titulaire d’un doctorat et professeur adjoint de psychiatrie et directeur du centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la formation et la santé mentale communautaire à l’Université de Loma Linda, en Californie, aux États-Unis.
Source : Adventist World – Décembre 2021
1 « Speaking of Psychology: Why People Believe in Conspiracy Theories », disponible sur le site suivant : https://www.apa.org/ research/action/speaking-of-psychology/conspiracy-theories.
2 M. Schurz et al., « Common Brain Areas Engaged in False Belief Reasoning and Visual Perspective Taking: A Meta-analysis of Functional Brain Imaging Studies », Frontiers in Human Neuroscience, 2013, https://doi.org/10.3389/fnhum.2013.00712.
3 Ellen G. White, Le ministère de la guérison, p. 118.
4 D. Burns, Feeling Good Together: The Secret to Making Troubled Relationships Work, New York, Broadway Books, 2008, p. 95-175.
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