Traditionnellement, les adventistes ont toujours eu une affinité particulière pour les Vaudois, lesquels, lors d’une période d’oppression religieuse, préservèrent et diffusèrent les Écritures en dépit de funestes conséquences. Mais ils éprouvent aussi un sentiment de camaraderie à leur égard pour une autre raison. Ellen White explique : « Pendant des siècles de ténèbres et d’apostasie, [les Vaudois] […] observèrent le vrai jour de repos[1]. »
Alors qu’ils visitent Torre Pellice, l’un des principaux centres des Vaudois dans les contreforts des Alpes du nord de l’Italie, les adventistes s’informent souvent des pratiques des Vaudois par rapport au sabbat. Ce qu’on leur répond alors les déçoivent : les premiers Vaudois ont toujours observé le dimanche. Rien ne prouve qu’ils rendaient un culte à Dieu le sabbat. Récemment, toutefois, de nouvelles preuves ont été mises au jour.
Qui sont les Vaudois ?
Les premiers Vaudois étaient membres d’un mouvement de réforme en Europe, spécifiquement dans les régions alpines de l’Espagne, de la France, et de l’Italie, pendant le Haut Moyen Âge. Considérés comme les précurseurs de la Réforme protestante par différents historiens[2], ils soulignèrent l’importance d’adhérer strictement aux enseignements de la Bible en tant qu’unique règle de foi.
Trouvant que de nombreux enseignements et pratiques de l’Église romaine s’appuyaient davantage sur la tradition que sur les Écritures, ils rejetèrent les doctrines et les rituels de l’Église. Ils appelèrent les croyants à retourner à la simplicité du style de vie du Nouveau Testament et aux enseignements de Jésus et des apôtres.
Après avoir examiné les enseignements des Vaudois lors du troisième Concile du Latran (1179), l’Église condamna les croyants en tant qu’hérétiques[3]. Les conciles ultérieurs renouvelèrent cette condamnation d’hérésie, déclenchèrent une terrible persécution, ce qui contraignit les Vaudois à fuir vers des lieux plus propices. C’est ainsi que leurs enseignements s’étendirent à des régions lointaines de l’Europe. Contrairement aux autres groupes axés sur la réforme, les Vaudois ne disparurent pas, ni ne furent absorbés dans d’autres mouvements, mais subsistèrent jusqu’à aujourd’hui.
L’observation du sabbat chez les Vaudois
Les adventistes se sont particulièrement intéressés à ce mouvement parce que de nombreux protestants le considèrent comme un lien entre l’Église primitive et la Réforme protestante. Leur pratique de l’observation du sabbat, comme on l’a déjà noté, intéresse spécialement les adventistes. S’appuyant sur la déclaration d’Ellen White dans La tragédie des siècles, les adventistes ont cru que certains Vaudois, et pas forcément un groupe considérable, observaient le sabbat.
En réponse, les Vaudois – et même certains adventistes – ont dit qu’Ellen White n’était pas une historienne. Un historien adventiste est même allé jusqu’à suggérer que La tragédie des siècles doit être révisée et mise à jour en rapport avec les connaissances actuelles, parce qu’il n’existe aucune source primaire de preuves de l’observation du sabbat chez les Vaudois.
En quête de preuves
Pendant plusieurs années, avec l’aide d’étudiants diplômés, j’ai cherché dans des bibliothèques européennes des sources anciennes dans l’espoir d’y trouver des preuves de l’observation du sabbat chez les Vaudois. Une telle recherche est difficile parce que les documents vaudois eux-mêmes ont été brûlés ou autrement détruits pendant les siècles de persécution[4]. La seule preuve dont on dispose sort de la bouche même de leurs inquisiteurs, lesquels les décrivent souvent en tant que mouvement hérétique.
Ainsi, l’une des sources primaires de preuves de l’observation du sabbat chez les Vaudois pendant la première moitié du 13e siècle est tirée d’une série de cinq livres rédigés à l’encontre des Cathares et des Vaudois vers 1241-1244. Son auteur, le père dominicain Monéta de Crémone, était un inquisiteur dans le nord de l’Italie.
Avec passion, Monéta se défendit contre la critique des Vaudois et des Cathares, lesquels affirmaient que les catholiques transgressaient le commandement du sabbat. Dans le chapitre De Sabbato, et De Die Dominico, il discuta de la signification du sabbat du septième jour d’Exode 20.8, « Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier », et l’opposa à la valeur du jour du Seigneur – son terme pour le premier jour de la semaine[5].
Des arguments anti-sabbat contre les Vaudois
Monéta prétendit que le sabbat était pour les Juifs, stipulant qu’il était un mémorial de la création ainsi que de leur libération d’Égypte. Le sabbat juif, dit-il, était « un signe et une image du sabbat spirituel du peuple chrétien. […] Il faut comprendre, cependant, qu’à l’instar des Juifs qui observaient le sabbat, nous observons de même le jour du Seigneur. » Il ajouta : « Ce jour, nous l’observons comme une ordonnance de l’Église, en révérence au Christ qui est né en ce jour, est ressuscité en ce jour, et a envoyé le Saint-Esprit en ce jour. »
Il poursuivit sa défense en se référant à Galates 4.10, 11. Il déclara : « C’est un péché d’observer les jours. » La circoncision, ajouta-t-il, « ne vous servira de rien » (Ga 5.2,3)[6], ni l’observation du sabbat. Il conclut en citant Colossiens 2.16, qu’il commenta ainsi : « Les jours se rapportant aux festivals juifs ne sont pas observés, mais au contraire, les jours institués par l’Église le sont, voilà tout[7]. »
Le traité de Monéta montre clairement qu’au 13e siècle, un groupe considérable de Vaudois et de Cathares dans le nord de l’Italie et le sud de la France rendaient un culte à Dieu un autre jour que le dimanche, c’est-à-dire le sabbat du septième jour. Chose ironique, les arguments catholiques de Monéta contre l’observation du sabbat furent utilisés plus tard par les Vaudois envers les adventistes, après que ces derniers eussent commencé à leur présenter la vérité du sabbat depuis longtemps oubliée.
Un groupe considérable d’observateurs du sabbat
Les observateurs du sabbat parmi les Vaudois étaient surtout répandus en Bohème et en Moravie – lieux où ils avaient trouvé refuge lors de la persécution papale. Un manuscrit du 15e siècle, publié par l’historien de l’Église Johann Döllinger dans Histoire des sectes, rapporte le fait suivant : « [Les Vaudois en Bohème] ne célèbrent pas les fêtes de Marie, la vierge bénie, ni celles des apôtres, excepté le jour du Seigneur. Bon nombre d’entre eux célèbrent le sabbat avec les Juifs[8]. »
Ces preuves tirées de telles sources primaires montrent clairement que l’observation du sabbat était une pratique chez une bonne partie des Vaudois au 13e siècle, et ce, jusqu’au 15e siècle. Elles confirment aussi la validité du compte rendu de La tragédie des siècles quant à l’observation du sabbat chez les premiers Vaudois.
Qu’est-ce qui amena les Vaudois du nord de l’Italie à abandonner l’observation du sabbat ? La réponse remonte au temps de la Réforme. En 1532, lors d’une réunion dans la vallée d’Angrogne entre les Vaudois et des représentants de la Réforme française, la plupart des Vaudois votèrent de se joindre à la Réforme française.
Par conséquent, ils cessèrent de former leurs prédicateurs itinérants, ou « barbes », au Collège des barbes à Pra del Torno. Ils envoyèrent à la place leurs candidats au pastorat à Genève, en Suisse, pour y être éduqués par Jean Calvin et ses associés. Calvin croyait que le sabbat conservait une signification spirituelle, mais que le septième jour littéral n’était qu’une loi cérémonielle et une ombre. Il fondait son opinion sur les mêmes passages scripturaires que l’inquisiteur avait utilisés contre les Vaudois[9]. Les pasteurs de la nouvelle génération éduqués par Calvin n’enseignèrent plus le sabbat du septième jour en tant que jour de repos, mais plutôt le dimanche.
Ces découvertes significatives de l’observation du sabbat chez les Vaudois nous invitent à pousser davantage la recherche de manuscrits antérieurs au 12e siècle, car ils pourraient mettre au jour davantage de preuves de l’observation du sabbat chez les premiers protestants en Italie et en France.
Gerard Damsteegt est professeur adjoint d’histoire de l’Église au Séminaire adventiste de théologie, à l’Université Andrews.
[1] Ellen G. White, La tragédie des siècles, p. 67.
[2] Voir, par exemple, Earle E. Cairns, Christianity Through the Centuries: A History of the Christian Church, 3e éd., Grand Rapids, Zondervan, 1996, p. 221.
[3] http://www.newadvent.org/cathen/09017b.htm, consulté le 23 janvier 2017 ; http://www.catholic.org/encyclopedia/view.php?id=6882, consulté le 23 janvier 2017.
[4] Voir James Hastings, Encyclopaedia of Religion and Ethics, Edinburgh, T. & T. Clark, 1954, vol. XII, p. 665.
[5] Monéta et Tommaso Agostino Ricchini, Venerabilis Patris Monetæ Cremonensis ordinis prædicatorum S. P. Dominico Æqualis adversus Catharos et Valdenses libri quinque: Quos ex manuscriptis codd. Vaticano, Bononiensi, ac Neapolitano, Rome, p. 1743 ; réimprimé, Ridgewood, N.J., 1964, p. 475-477.
[6] Sauf mention contraire, toutes les citations des Écritures sont tirées de la version Segond, dite à la Colombe.
[7] Monéta et Ricchini, p. 476, 477.
[8] Johann Döllinger, Beiträge zur Sektengeschichte des Mittelalters, Munich, Beck, 1890, vol. II, p. 662.
[9] John Calvin, Institutes of the Christian Religion (1536), trans. Ford L. Battles, Grand Rapids, Eerdmans, 1995, p. 23
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