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La (petite) bête

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Dans le monde entier, l’Église adventiste s’est consacrée pendant le premier trimestre de l’année 2020 à l’étude du livre de Daniel. Beaucoup de membres se sont réjouis de cette étude. La prophétie n’est-elle pas au cœur de l’adventisme ?

L’un des thèmes majeurs du livre de Daniel est celui de la puissance et de la grandeur. Dès le chapitre 2, la statue vue par le roi Nabuchodonosor est impressionnante. Elle décrit les empires qui se succèdent, forts et puissants, en même temps que fragiles. Une petite pierre suffira à les détruire. Nabuchodonosor, on le sait, ne se satisfait pas de cette succession annoncée des empires. Il s’attribue à lui seul le pouvoir et la force. Son règne ne passera jamais. Bien d’autres potentats après lui ont pensé et agi de la sorte.

Dès le chapitre 6, des animaux entrent en scène. Des lions tout d’abord, chargés de dévorer Daniel. Rien n’y fait. Ces animaux emblèmes de la puissante Babylone ont la gueule fermée par le messager divin.

Au chapitre 7, les animaux prennent une autre allure : ce sont des monstres, « quatre bêtes énormes » (7.3), des êtres hybrides que personne n’a jamais vus auparavant. Le lion a des ailes d’aigle, des jambes et un cœur d’homme. Le deuxième animal est (comme) un ours dévorant. Le troisième est un léopard volant comme un oiseau, avec quatre têtes. Quant au quatrième animal, c’est une « bête terrible, effrayante et extraordinairement forte » (7.7), aux dents de fer, qui dévore et pulvérise tout sur son passage. Onze cornes viennent compléter sa description.

Le chapitre 8 continue sur la même note. Certes, il n’y a plus que deux animaux, le bélier et le bouc, mais ils déploient tous deux une violence inouïe, l’un contre l’autre, jusqu’à ce que pousse une grande corne dont l’activité monte jusqu’au ciel.

 

Pendant treize sabbats, les fidèles de l’Église adventiste ont ainsi côtoyé cette ménagerie biblique aux allures autant fantastiques qu’effrayantes. N’importe quel lecteur non initié à la prophétie apocalyptique serait sans doute terrifié par ces descriptions de puissance et de violence. L’adventiste bon teint non. Et il en rajoutera même en allant compléter à l’aide de l’Apocalypse de Jean le bestiaire daniélique : un dragon, deux bêtes terribles (Ap 12 et 13). L’adventiste bon teint marche dans l’arène en toute confiance. Car derrière les symboles, il a identifié les ennemis qui se cachent, surtout le grand ennemi. Il sait, non sans raison, que ce dernier sera vaincu. Il sait qu’il n’a rien à craindre. Il sait que la délivrance est proche.

 

Mais pendant ce temps, à Wuhan, dans la province de Hubei, en Chine…

 

Pendant ce temps-là, incognito, une petite bête, toute petite, d’un nom qui fait presque penser à une référence biblique : COVID-19. Petite bête non identifiée[1]. On ne sait pas vraiment d’où elle vient, de quoi elle se nourrit, comment elle meurt, et à quel âge. Aussi mystérieuse que Melchisédek ! Petite bestiole qui par la taille fait penser à la petite pierre qui détruit les empires et qui devient une grande montagne. Tel est pour l’instant le COVID-19, qui met tous les empires du monde à genoux, mais aussi les pays les plus faibles. Impitoyable bestiole, qui désespère les médecins et les biologistes : personne ne semble pouvoir l’arrêter.

 

N’y-a-t-il pas dans la survenue de cet animal microscopique aux terrifiants effets, matière à réflexion ? Il y a fort à parier qu’on tentera d’expliquer le désastre. C’est Dieu qui veut nous donner une leçon. Ou c’est Satan qui s’acharne. Ou c’est le signe tant attendu de la fin du monde et du retour imminent du Christ. Il n’est pas exclu qu’on trouve même un verset biblique qui fasse précisément référence à ce qui se passe sous nos yeux : « La Bible l’a dit. C’était écrit. » J’essaie une autre piste.

 

Première réflexion : le caractère totalement imprévisible et fulgurant de la pandémie. La bestiole ne s’est pas annoncée. Peut-être était-elle à l’œuvre depuis longtemps sans que nous le sachions. Mais en quelques semaines, c’est quelque deux milliards d’individus dans le monde, sur tous les continents, qui sont concernés par ce mal. Notre calendrier prophétique, qui s’étend sur plusieurs millénaires en prend un coup. Notre liste des prophéties déjà réalisées est impressionnante, mais selon notre système d’interprétation adventiste, il en reste quand même un certain nombre en attente, ce qui peut donner l’impression qu’il faudrait un temps relativement long avant leur accomplissement. Le COVID-19 nous exhorte à la vigilance absolue. Personne ne sait comment nous sortirons de la crise. Mais en quelques petites semaines, la face du monde a été changée. C’est une piqûre de rappel qui nous est infligée : le Seigneur vient comme un voleur, à l’heure où on ne l’attend pas.

 

Deuxième réflexion : notre interprétation des prophéties de Daniel et de l’Apocalypse se focalise sur les grands systèmes politiques et religieux. Babylone la grande, aux défenses soi-disant imprenables, en est la référence première. Puis vient l’Empire romain qui est une redoutable machine de guerre, une puissance écrasante. La papauté qui lui succède est l’ennemi présent partout, insidieux, maléfique. Les États-Unis d’Amérique sont l’agneau redoutable, la première armée du monde et la première économie. Plus c’est grand, plus c’est redoutable, d’autant qu’en face, il n’y a que le reste fidèle, certes avec des Divisions, mais qui ne sont pas armées. Qu’importe, plus extraordinaire sera la victoire finale, celle du Seigneur aux côtés de son peuple. Le COVID-19 ne nous dit-il pas que le plus redoutable n’est pas forcément le plus impressionnant ? N’y-a-t-il pas lieu de reconsidérer la liste des forces en présence ? Les puissants d’hier sont-ils encore et toujours les puissants d’aujourd’hui ? Le COVID-19 ne nous oblige-t-il pas à redessiner la carte de la bataille finale ?

 

Depuis les pionniers, nous avons posé sur la grande table de l’état-major de notre Église les symboles de toutes les forces que nous croyions impliquées dans le dernier combat. Régulièrement, les généraux de l’Église se réunissent pour voir l’évolution du combat. Nous avons bougé les pions, parfois. La redoutable Turquie de jadis ne fait plus partie du tableau. La Chine qui n’était pas là mériterait peut-être d’y figurer. Certains veulent absolument ajouter sur cette grande carte des forces en présence les hordes islamiques. La pandémie nous dit peut-être que le plus petit est aujourd’hui bien plus redoutable que le puissant. En somme, le COVID-19 pourrait nous obliger à un changement significatif de notre interprétation des prophéties apocalyptiques.

 

Troisième réflexion, plus existentielle. Les médecins nous disent que beaucoup d’entre nous sont infectés par le virus, mais de manière asymptomatique, sans signe visible. La petite bestiole est en nous, et pas seulement à l’extérieur de nous. Nous avons dans ce cas développé des anticorps salutaires. Pour ceux qui n’ont pas croisé le virus, la vie continue, comme avant. Pour nous tous, comment vivrons-nous après la crise ? Des options différentes sont possibles. La première est de se protéger davantage, car finalement, c’est Jean-Paul Sartre qui a raison : « l’enfer c’est les autres », qui ne respectent pas la distance de sécurité, qui nous postillonnent au visage. Alors fuyons, loin de villes, dans les campagnes et dans les montages, pour sauver notre peau. Cette tendance existe déjà dans un certain adventisme, en une forme religieuse de nationalisme. Il est à espérer que la crise actuelle ne lui donne pas une justification supplémentaire. La deuxième option consiste à braver le risque, à rencontrer, à toucher, à parler, même de près. C’est ce que Jésus a fait, et à plusieurs reprises, coupant le cordon sanitaire que le judaïsme avait établi pour se protéger des non-Juifs. La troisième option est de se protéger au maximum, tout en restant au contact des autres. Des gants, des masques, des combinaisons. La technologie numérique aujourd’hui à notre disposition permet tout, sans toucher, de loin. Finalement, le COVID-19 nous contraint de nous poser en termes nouveaux la question de notre présence au monde et dans le monde. Les réponses toutes faites n’existent pas. C’est une réflexion en profondeur qui s’impose. Et comme dans toute guerre, le plus tôt sera le mieux.

 

 

De Jean-Claude Verrecchia

 

[1]Par simplification nous utilisons le nom qui lui est donné, mais à tort. Le virus s’appelle SRAS-CoV-2. COVID-19 est le nom de la maladie.

 

Dans quelle mesure le livre de Daniel est-il pertinent pour ma vie quotidienne ?
Un acte de foi

Adventiste Magazine

La revue officielle de la Fédération des Églises Adventistes du Septième jour de la Suisse romande et du Tessin.

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