Reema Sukumaran est auteure, conférencière, épouse, mère de six garçons, adventiste et survivante d’abus et d’agressions sexuelles. Son livre récemment publié, Beautifully Broken, raconte l’histoire d’une vie de violence physique et émotionnelle aux mains de son père, d’un foyer instable avec des violences domestiques, puis d’une agression sexuelle alors qu’elle était jeune adulte. Reema a traversé beaucoup de choses dans sa courte vie, mais en choisissant d’être transparente avec son histoire personnelle et difficile, elle a ouvert la voie à d’autres personnes dans des situations similaires pour qu’elles partagent leur vérité. Wilona Karimabadi a parlé avec Reema pour discuter du processus de revivre le traumatisme afin de partager une histoire importante.
Vous avez dû revisiter une partie très difficile de votre vie afin de faire remonter des souvenirs douloureux pour écrire votre livre. Pourquoi avez-vous choisi de le faire ?
J’ai décidé d’écrire ce livre parce que je veux être une voix pour d’autres personnes qui ont vécu la maltraitance. Nous avons grandi en apprenant que ce qui se passait à la maison restait à la maison. C’était peut-être une question de culture ou d’époque à laquelle nous avons grandi. L’écriture de ce livre a été un véritable voyage qui a commencé il y a 25 ans. Je ne m’attendais pas à ce que l’écriture thérapeutique soit aussi efficace.
Pourquoi vous a-t-il fallu autant de temps ?
J’ai écrit des chapitres de mon livre pendant cette période. Et pourtant, avec le recul, mon histoire n’était pas terminée. J’ai eu six garçons pendant cette période et la vie a pris le dessus. J’ai commencé à bloguer à un moment donné, et cela a alimenté mon besoin d’écrire. Je vivais encore mon histoire. Il me restait encore tant de chapitres à vivre. Dieu écrivait encore mon histoire.
Vous dites avoir été en colère et frustrée contre votre mère. Pourquoi ?
Je pense que c’est parce que l’amour d’une mère est extrêment puissant. Je sais que ma mère aurait littéralement fait n’importe quoi pour nous. Par exemple, elle a pris des coups à notre place. Elle nous poussait hors de la pièce et nous disait “Pars”, et mon père la menaçait : “Si tu entres, je vais te tuer”, ou ce genre de choses. Elle a donc pris beaucoup de coups pour nous sauver. Pourtant, je voulais que ma mère nous sauve de toute la vie de douleur et de peur que nous vivions. Je pense que ma mère a fait du mieux qu’elle pouvait à l’époque, mais il m’a fallu tellement de temps pour arriver à cette conclusion, à cette compréhension.
Comment avez-vous réussi à mettre ces sentiments de côté pour de bon, tout en vous souvenant de la douleur pour l’écrire ?
Ma mère est tombée très malade il y a deux ans. Je suis allée vivre avec elle pendant les six dernières semaines de sa vie. Aujourd’hui, quand je regarde en arrière, je vois que le temps que j’ai passé avec elle a été projeté par Dieu. Ce fut l’un des moments les plus difficiles de ma vie. J’étais loin de mon mari et de mes garçons. J’habitais chez ma mère, sans savoir quand elle allait rendre son dernier souffle et comment je le supporterais. Ce temps passé avec ma mère nous a permis de nous remémorer certains souvenirs et de beaucoup partager. Nous avons beaucoup parlé. Ma mère a partagé ses regrets face à la douleur que nous avons dû vivre. Elle nous a fait part de ses souvenirs et de son amour pour nous, ses enfants, et de son amour plus grand encore pour ses petits-enfants. Une fois ma mère décédée, j’ai ressenti la paix et la guérison provenant de ce temps que j’ai eu la chance de partager avec elle. Je suis rentrée à la maison et j’ai su que Dieu avait écrit le dernier chapitre de ce livre. J’ai donc commencé à écrire. En fait, j’ai terminé mon livre le jour de l’anniversaire de sa mort, et j’ai réalisé que la fin de mon livre était venu très naturellement. Je n’aurais pas pu l’écrire avant la mort de ma mère parce que je n’aurais pas pu être aussi honnête que je devais l’être.
Alors que vous reviviez cette expérience douloureuse et lorsque vous la viviez chaque jour, que se passait-il dans votre esprit en termes de foi ?
Dieu a toujours été là pour moi. Je pense que lorsque vous êtes dans une famille abusive comme je l’étais, vous n’avez pas d’autre choix que de vous tourner vers quelqu’un. Dieu était mon Ami invisible parce qu’il fallait que j’aie quelqu’un vers qui me tourner. C’est une manière grâce à laquelle mon père a pu nous bénir, je crois. Aussi odieux qu’il ait été envers la religion, mes deux jeunes frères et moi avons une relation très forte avec Dieu. Pour moi, ce n’était pas une option. Je pense que j’avais juste besoin de savoir que Dieu était à mes côtés tout au long de mon voyage. Je pense que ma mère nous a aussi inculqué cette foi, car elle n’a jamais remis Dieu en question. Et je ne comprenais pas cela. Elle n’a jamais été en colère contre Dieu, elle ne l’a jamais remis en question. C’est peut-être aussi une question de génération, je n’en suis pas sûre, mais sa foi était très simple. Elle faisait simplement confiance à Dieu et croyait en lui.
Vous avez mentionné que vous suivez une thérapie. Le fait d’écrire sur ces moments difficiles de votre vie a-t-il eu un impact sur votre travail thérapeutique ?
J’ai commencé à écrire seulement après la mort de ma mère, c’était donc il y a deux ans. Je suis en thérapie depuis quatre ans. Le début de la thérapie a été un grand pas. Il n’a pas été facile de creuser en profondeur et de surmonter les grandes souffrances de tant de décennies. Je pense qu’écrire sur ces moments difficiles a été thérapeutique pour moi, afin de voir la guérison qui était en train de se produire. J’ai appris à prendre soin de moi au point de savoir comment faire face à quelque chose qui peut m’affecter. En partageant mon histoire, mon conseiller m’a aidée à apprendre à partager et aussi à me protéger de la douleur des autres que je ne suis pas capable de porter. Quand je partage, c’est incroyable la fréquence à laquelle quelqu’un me dit “C’est mon histoire” ou “Tu racontes mon histoire”. Au début, je ne savais pas quoi faire de tout ça. Pourtant, j’ai appris qu’il n’y a pas de mal à dire “Je suis vraiment désolée pour votre douleur. Je ne suis pas équipée pour vous aider, mais voilà ce qui m’a aidé”, et ensuite les orienter vers quelqu’un qui pourrait les aider.
En revivant tant de souvenirs malheureux, en avez-vous de bons ?
Mes frères et moi avons vécu dans la peur et les mauvais traitements. Pourtant, nous avons des souvenirs d’enfance normaux, comme jouer au parc, pique-niquer, rendre visite à la famille qui vivait dans d’autres États. La rencontre avec Muhammed Ali a été un souvenir incroyable. Nous aimions aller à la plage ou à Disney World. La vie avec mon père était imprévisible, donc chaque jour qui n’était pas dramatique était un bon jour.
Une dernière réflexion que vous aimeriez partager ?
J’ai mis tant d’amour dans ce livre. J’ai demandé à Dieu, il y a longtemps, d’utiliser ma douleur. C’est une question de timing de Dieu. Des décennies plus tard, je vois maintenant comment Dieu, en son temps, a fait et continue de faire quelque chose de beau de toutes les ruptures.
De Wilona Karimabadi, rédactrice adjointe de la revue Adventist, avec Reema Sukumaran
Source : www.adventistreview.org/telling-a-tough-story
Traduction : Eunice Goi
Laissez votre commentaire