Pour développer à l’école la laïcité et le respect mutuel, parions que le progrès des connaissances est le meilleur rempart contre les peurs et les préjugés. Enseigner les faits religieux n’est pas une entorse à la laïcité mais la pleine application de son principe. Il faudrait compléter une approche historique pour ouvrir au monde contemporain et présenter les systèmes de représentation du monde en situant également la place de l’athéisme et de l’agnosticisme.
Enseigner les faits religieux à l’école, la proposition n’est pas neuve ! Pourtant elle revient régulièrement dans les discours des politiques ou de personnalités de la société civile, comme si rien n’avait été fait, ou comme s’il y avait là une solution miracle pour améliorer « le vivre ensemble » face aux attentats, ou aux tensions suscités par les réaffirmations religieuses. D’autres au contraire s’inquiètent d’un projet qui remettrait « Dieu » à l’école sous couvert de découverte des religions ou de prise en compte du spirituel. Clarifier les attentes, préciser ce qui est vraiment fait ou reste à faire doit permettre de passer d’une formule incantatoire à une mise en œuvre dans le cadre de l’école laïque.
Enseigner les faits religieux: de quoi parle-t-on ?
Le rapport de Régis Debray sur l’enseignement du fait religieux à l’école laïque est porté par le contexte des attentats du 11 septembre 2001 mais ne propose pas une révolution! Il s’inscrit dans une série de réflexions qui depuis les années quatre-vingt soulignent l’inculture croissante des élèves en ce domaine. La perte de sens d’une partie du patrimoine culturel, la difficulté à comprendre les soubresauts d’un monde contemporain où les religions sont partie prenante de conflits, comme la capacité à prendre en compte la pluralité religieuse de la société française, sont en jeu.
Il s’agit alors de promouvoir une connaissance des religions comme faits de civilisation. Hors d’une approche confessionnelle, c’est au sein des disciplines scolaires existantes que le choix français veut saisir les références au religieux dans une approche distanciée et critique.
Des craintes qui font obstacle
Si l’expression « fait religieux» s’est imposée, elle suscite une double crainte. Certains y voient une essentialisation du religieux, vu comme une norme dans laquelle chacun aurait à s’inscrire. Or, il n’existe pas de « fait religieux» à l’état pur – indépendant d’un contexte historique, sociologique, anthropologique toujours complexe. Privilégier l’emploi du pluriel, comme l’a fait l’IESR, voudrait souligner la pluralité de ces manifestations et la nécessité d’une approche interdisciplinaire et contextualisée.
D’autres redoutent par cet aspect « factuel » une approche très réductrice. Il ne s’agit certes pas de se contenter de statistiques mais bien de donner sens à l’examen des mythes, rites, expressions symboliques et artistiques des religions sans considérer qu’il y a là un domaine réservé ou tabou. Cet enseignement ne relève pas du témoignage mais de l’analyse. Il n’est pas une entorse à la laïcité, mais la pleine application de son principe dans un esprit de connaissance.
Le choix français reste peu lisible : une portée réelle mais limitée
Les faits religieux sont abordés essentiellement en histoire avec une réelle présentation des trois monothéismes au collège mais dans une approche ponctuelle qui reste très centrée sur les origines. Cantonnées à un passé lointain, les religions risquent d’apparaître toute constituées de rites et pratiques qui évoluent peu dans l’histoire et disparaissent quasiment après la Révolution. Ceci n’aide guère à comprendre le présent et tend à renforcer les discours identitaires.
Tout en assumant le refus d’une discipline spécifique, cet enseignement serait plus lisible et mieux étayé scientifiquement en s’inscrivant dans une dimension curriculaire avec un programme pluridisciplinaire échelonné selon les niveaux à l’instar de ce qui a été proposé en histoire des arts.
Il pourrait ainsi :
– Développer l’approche historique pour souligner les évolutions et la pluralité interne à chaque tradition afin de lutter contre les lectures fondamentalistes et ouvrir la perspective sur le monde contemporain.
– Associer davantage la littérature et l’histoire des arts qui permettent de saisir, par la médiation des œuvres, différents univers symboliques et de distinguer mythe et histoire.
– Prendre en compte une dimension anthropologique présentant les rites, pratiques et croyances dans une approche comparée des systèmes de représentation du monde qui gagnerait à aborder la place des religions d’Asie et doit intégrer les convictions humanistes par l’histoire et l’actualité de l’agnosticisme et de l’athéisme
Pourquoi l’aborder à l’école ?
Alors que la France est l’un des pays les plus sécularisés du monde, il est tentant de penser que la question du religieux disparaîtra d’elle-même avec la baisse continue de la pratique et de suspecter d’arrière-pensée prosélyte ceux qui veulent renforcer l’enseignement des faits religieux. Pourtant l’actualité ne cesse de le rappeler, la référence au religieux n’a pas disparu du champ social, politique ou culturel au sens large. Pour en comprendre la place, il faut faire le pari que le progrès des connaissances est toujours la meilleure réponse contre les peurs et les préjugés afin de faire advenir une société où, selon l’espoir de Gabriel Séailles, à la veille de la loi de 1905, on puisse« être athée sans être traité de scélérat et croire en Dieu sans être traité d’imbécile».
Laissez votre commentaire