Frederick Carnes Gilbert naquit à Londres, en Angleterre, le 30 septembre 1867. Persécutés à cause de leur foi et de leur ethnie, ses parents, des Juifs russes, avaient fui leur pays d’origine et l’Europe continentale pour se réfugier dans ce pays.
Frederick y reçut une éducation juive stricte, fut formé par un rabbin, et passa par la confirmation. Il célébra son barmitzvah et porta même des phylactères. Il avait le christianisme en horreur, non seulement à cause de son éducation, mais aussi en raison de la persécution dont ses ancêtres – et plus récemment ses parents – avaient été l’objet de la part des chrétiens. Lorsqu’il passait devant une église chrétienne, il crachait pour manifester son aversion, et se retenait pour ne pas étrangler tous les chrétiens qu’il croisait sur son chemin.
L’enfance de Frederick ne fut pas de tout repos. De santé fragile, il fut hospitalisé à maintes reprises et frôla la mort. Une fois, il tomba dans une fournaise et fut presque brûlé vif. Alors qu’il entrait dans l’adolescence, son père mourut. Frederick souffrait d’un asthme sévère et d’une maladie pulmonaire. Il était si mal en point qu’un jour, son médecin lui suggéra fortement de déménager en Amérique. Le voyage en mer améliorerait son état, et le climat de l’Amérique favoriserait sa santé.
Aller en Amérique ? S’établir dans cette contrée impie ?
Cette seule pensée le faisait trembler. Son père ne l’avait-il pas déjà mis en garde contre ce pays ? Mais sa santé laissait tellement à désirer qu’il se décida enfin à faire le grand saut. Il monta à bord du navire à destination des États-Unis. À peine le bateau s’était-il éloigné du quai que Frederick fut victime, hélas, d’un grave accident. Dès son arrivée à New York, il se rendit immédiatement à l’hôpital.
En Amérique
Au bout d’un certain temps, Frederick en eut la certitude : l’Amérique était bel et bien une contrée impie. À l’usine où il travaillait, on le persécutait à cause de ses croyances juives. Bien que faisant partie d’un syndicat et payant ses cotisations, il fut congédié de ce travail prometteur sans aucune possibilité de recours. Le jeune chômeur décrocha des petits boulots à droite et à gauche, marchant souvent le soir dans les rues de New York sans nourriture, sans vêtements adéquats, en grelottant de froid.
À 21 ans, il décida de déménager à Boston dans l’espoir d’une vie meilleure. Il trouva à se loger chez les Fiske, une famille adventiste. Comme c’est étrange ! se dit-il. Ces gens-là ne mangent pas de porc et observent le sabbat… mais ils croient en Jésus ! En voyant les Fiske « vivre leur religion plus en actes qu’en paroles », le cœur du jeune homme fut profondément touché. Frederick arriva chez cette famille en tant que Juif pratiquant ; mais deux ans plus tard, il prit congé de ses hôtes en tant qu’adventiste engagé.
Après sa conversion en 1889, Frederick passa par des circonstances plus pénibles encore, que ce soit au travail ou dans la rue. Des membres de sa famille en Angleterre et en Nouvelle-Angleterre lui tournèrent le dos. Sa propre mère le renia en apprenant qu’il avait embrassé la religion de leurs oppresseurs. Frederick quitta son emploi dans une manufacture de chaussures pour devenir représentant évangélique. Après avoir vendu des livres pendant neuf mois, il s’inscrivit à l’Académie de South Lancaster (aujourd’hui l’Institut d’enseignement supérieur de l’Union atlantique) en vue du ministère.
Pour son peuple
Après ses études supérieures, Frederick œuvra auprès des Goys (les Gentils) de la Nouvelle-Angleterre pendant 10 ans. En 1896, il épousa Ella Graham, avec laquelle il fut marié pendant près de 50 ans. En 1898, il fut consacré au ministère.
Au début du 20e siècle, il embrassa le principe de la réorganisation et de la contextualisation au sein d’un adventisme en quête de moyens particuliers d’attirer des peuples spécifiques à l’Évangile.
Frederick lança une campagne d’évangélisation spécialement conçue pour atteindre les quelque 300 000 Juifs en Nouvelle-Angleterre. Son amour pour l’humanité lui fit adopter des méthodes d’évangélisation de proximité et de communauté. Il se rendait dans les ghettos pour converser avec des rabbins, montait sur une caisse de savon et prêchait en yiddish, faisait du porte à porte, prenait des orphelins chez lui, s’occupait des malades, trouvait des emplois aux chômeurs, et militait activement contre les lois du dimanche (lesquelles menaçaient la liberté religieuse des Juifs).
Frederick établit un centre de réfugiés pour les Juifs persécutés qui, reniés par leurs familles et leurs amis, se retrouvaient sans ressources. Il se lança également dans la rédaction de revues évangéliques en yiddish – The Good Tidings of the Messiah, The Messenger, et d’autres tracts et brochures ; enfin, il prit la parole dans des synagogues et des salles. Son zèle attisa la fureur de ses ennemis, lesquels lui envoyèrent des lettres de menaces de mort. Dès que l’occasion se présentait, on le rouait de coups ; parfois, il ressortait de ces agressions la tête ensanglantée et d’autres fois, le corps tout meurtri. Mais il endura toutes ces choses et souffrit avec joie pour son Messie.
En 1907, sur la recommandation de Frederick, la Fédération du centre de la Nouvelle-Angleterre créa un département juif. Frederick en fut le premier directeur. Il développa des stratégies et collecta des fonds pour atteindre la population juive de la Nouvelle-Angleterre, laquelle croissait rapidement dans le Grand Boston et dans d’autres villes le long de la côte est. Il fut aussi le premier représentant juif de l’Union des fédérations de l’Atlantique, se joignant à M. L. Andreason (le représentant scandinave), et à J. K. Humphrey (le représentant noir) en tant que spécialistes en missiologie ethnique.
En 1908, Ellen White encouragea Frederick en ces termes : « Mon frère, les Juifs ne sont pas les seuls que vous aidez par votre travail. Nos frères ont besoin de votre exemple. Je vous en supplie : soyez de bon courage. Dans vos efforts, n’attendez pas quelque occasion extraordinaire et merveilleuse, mais saisissez les occasions telles qu’elles se présentent. En utilisant fidèlement les occasions qui s’offrent à eux, les serviteurs de Dieu confirmeront la puissance de la vérité. »
En 1913, à la demande de Frederick, le Département nord-américain pour les étrangers établit le comité consultatif du Département juif. Frederick en fut le directeur. Cinq ans plus tard, il devint directeur du comité consultatif juif de la Conférence générale.
En raison de son âge, Frederick dut renoncer à travailler pour son peuple dans les ghettos. Il entreprit alors d’écrire des livres pour les Juifs, dans lesquels il exposa les multiples similitudes entre le judaïsme et l’adventisme. Ses ouvrages fort élaborés, tels que Practical Lessons from the Experience of Israel, Messiah in His Sanctuary, et Judaism and Christianity présentent le Christ en tant que point culminant et accomplissement des rites culturels hébraïques, et exercent encore une influence puissante aujourd’hui.
De 1922 jusqu’à sa mort le 31 août 1946, Frederick servit en tant que secrétaire itinérant pour la Conférence générale.
Les méthodes du Christ
Pour atteindre les 350 millions d’habitants de son territoire, la Division nord-américaine a mis sur pied un modèle d’évangélisation en six étapes, lequel se fonde sur le ministère du Christ. La vie et le ministère de Frederick Carnes Gilbert incarne chacune de ces étapes. « Au début de l’œuvre missionnaire, dit-il, nous avons senti qu’il nous fallait suivre les méthodes du Sauveur autant que possible. » Ces méthodes produisirent une moisson exceptionnelle : elles atteignirent « des dizaines de milliers de Juifs à Boston » et ailleurs. « Des Juifs partirent de leurs villes respectives et parcoururent de longues distances pour se rendre à la mission située à Boston. Ils nous dirent qu’ils avaient entendu parler de l’œuvre qui avait été lancée pour leurs frères. »
Le témoignage extraordinaire d’un chrétien non adventiste ayant assisté un jour aux réunions de Frederick est très édifiant. « Il me semblait, dit-il à Frederick, que le Nouveau Testament reprenait vie, et c’était, assurément, merveilleux. Cela est très convaincant pour moi. »
Benjamin Baker est archiviste adjoint de la Conférence générale.
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