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ÊTRE MISSIONNAIRE EN OUTRE-MER : RACONTE MOI L’ÉCHEC !

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Kelsey, pourrais-tu nous parler de ton expérience missionnaire ?

Ma gorge se serre. J’espère que mon visage ne s’empourpre pas au rythme de mes émotions. Des bébés morts… Des enfants abandonnés et mourant de faim… Le gouffre des besoins qu’il me semble ne jamais pouvoir combler… La dynamique missionnaire compliquée et pénible… Je songe à une patiente hospitalisée, atteinte depuis longtemps de la tuberculose. Cette femme, qui n’a aucune famille, est une source d’inspiration. Oui, je peux parler d’elle. « O. K. », dis-je. Je m’attelle à la tâche consistant à faire un montage PowerPoint chargé d’images.

Mais le reste de ce PowerPoint… eh bien… Je refoule mes émotions. Le reste, je m’en occuperai plus tard. Je suis de retour dans mon pays d’origine pour quelques semaines seulement. Après, je dois retourner en Afrique. Je pourrais certainement sourire et raconter l’histoire inspirante à laquelle ma congrégation aspire. D’une voix hésitante, je présente donc mon PowerPoint, et l’assemblée me remercie chaleureusement.

DES MOTS GRAVÉS DANS MON CŒUR

Des mois plus tard, je rentre chez moi pour de bon. Et là, je craque. Je refuse une demande de témoignage à l’École du sabbat. Vous raconter mon histoire ? Allons donc, je suis traumatisée ! Je ne pense pas que vous aimeriez vraiment l’entendre. Vous ne savez pas ce que vous demandez…

Non, vous ne savez pas ! Des sages-femmes ont converti les boîtes en carton dans lesquelles on a expédié nos gants en cercueils pour des bébés qui n’ont même pas été pleurés. Un garçon de 12 ans atteint d’épilepsie à qui nous avons été forcés de donner son congé s’est retrouvé à la rue parce que ses parents l’ont abandonné et qu’il n’existe aucun service social. Une mère célibataire n’a pu garder son bébé parce que son patron le lui interdisait. Il m’a fallu un an pour comprendre que cette femme si jeune, issue d’une zone rurale, était une prostituée…

Ou peut-être voulez-vous que je vous raconte comment j’ai failli ne presque rien donner à notre femme de ménage qui me disait que ses neveux et nièces mouraient de faim, jusqu’à ce que notre directrice financière m’encourage à lui glisser furtivement du beurre d’arachide et du lait en poudre. Ou que je vous parle de tous les individus qui sont morts parce que nous ne disposions même pas des fournitures de base — sacs de sang, tubes, etc. Ou que je vous parle de l’épuisement auquel certains groupes missionnaires sont en butte lorsqu’ils s’attendent à ce que les missionnaires à long terme travaillent davantage quand ils arrivent avec leurs plans et leurs idées.

Outre les besoins aussi vastes qu’insatiables – besoins des gens avec qui nous travaillons, de notre organisation pour recueillir des fonds, de nos propres ressources limitées – il y a aussi la dynamique interpersonnelle discordante, compliquée, et regrettable qui prévaut chez les missionnaires. Le champ missionnaire attire, en effet, des gens à la forte personnalité, aux opinions béton, et les regroupe dans un espace restreint.

Vous voulez que je vous donne un rapport missionnaire reluisant tandis que vous êtes assis confortablement dans votre banc ? Tandis que mes amis en Afrique souffrent et meurent de faim ? Et alors que nous n’arrivons même pas à nous entendre suffisamment pour les aider ?

Oubliez ça. Je ne peux pas. Cet échec qui m’envahit et m’oppresse lourdement contraste trop avec la perception hyperromantique que les membres d’église ont des missions. De toute ma vie, je ne me suis jamais sentie aussi impuissante en face du besoin. Comment pourrais-je alors vous raconter mon expérience ?

Deux années de lutte intérieure s’ensuivent. Je m’efforce d’utiliser mes ressources de façon responsable, et occasionnellement, je m’inquiète de ce que je ressens le droit de m’impatienter lorsque la chasse d’eau d’une toilette occidentale ne s’actionne pas automatiquement. Mais je suis coincée : ma santé ne me permet pas de retourner en mission outre-mer. Mes parents divorcent, et de bons amis meurent. D’une façon ou d’une autre, cette impuissance que j’ai ressentie en Afrique est maintenant suscitée par mon propre malheur. Tandis que le monde qui m’entoure semble riche et égoïste en face de mon besoin, je sombre sous le poids du deuil, d’une mauvaise santé, de la souffrance, et de la frustration.

UNE HISTOIRE D’UNE INFINIE VALEUR

Un sabbat, alors que je rentre chez moi après un sermon ayant pour thème l’amour de Dieu, je lève les yeux au ciel et m’écrie, en colère : « Mon Dieu, si tu te soucies vraiment de moi, tu m’enverras ce soir quelqu’un qui me serrera dans ses bras ! »

Quoi ? Qu’est-ce que je suis en train de dire ? Mes propres paroles me coupent le souffle. Quelle audace de dire une chose pareille à Dieu, au Roi de l’univers ! Et combien ma formulation s’apparente à celle de Satan dans Matthieu 4 : « Si tu es le Fils de Dieu… » !

Mais Dieu honore ma prière. Ce sabbat après-midi-là, mon amie Shama arrive chez moi à l’improviste et me prend dans ses bras. Elle reste toute la semaine, me frotte le dos quand je suis triste, me donne un coup de main autour de la maison. Et elle écoute attentivement mon histoire.

Pourquoi Dieu a-t-il répondu à ma prière exaspérée, formulée d’une aussi piètre façon ? Ne faisait-il qu’attendre que je lui dise ce que j’avais réellement sur le cœur ? Plus tard, Dieu m’envoie d’autres amis et mon apprentissage commence. C’est O. K. de se sentir triste à cause de la mort et de l’abandon. Une oreille attentive est souvent tout aussi utile que l’aide matérielle que je croyais être toujours nécessaire. En raison de la déchéance de l’âme humaine, même notre désir sincère d’aider les autres peut créer une dynamique confuse et compliquée. Mais en dépit de nos discordes et de nos défauts, Dieu honore les désirs de notre cœur. Il m’ordonne d’apprendre de lui pour que je puisse me rétablir, m’épanouir, et pour que j’enseigne aux autres à faire de même.

L’HISTOIRE LA PLUS DOUCE JAMAIS ENTENDUE

Un sabbat après-midi, lors d’un camp-meeting, une vieille dame semble vouloir me parler. Elle me rejoint dans le hall pour bavarder. Elle revient juste, dit-elle, du champ missionnaire.

« Vraiment ? dis-je. Est-ce que les gens ici te demandent de raconter ton histoire ? Est-ce que ça te traumatise ? »

« Euh… oui », répond-elle, très surprise.

« Ben voilà ! C’est exactement ce qui m’est arrivé à mon retour d’Afrique. Les gens voulaient que je leur parle de mon séjour là-bas. Mais j’étais tellement traumatisée par mon expérience que je ne sentais pas vraiment qu’il y avait quelque chose à raconter. Quel impact avais-je là-bas, de toute façon ? Il y avait tellement de besoins devant lesquels j’étais absolument impuissante ! Et les mésententes parmi les missionnaires ne manquaient pas. »

Mon amie sourit.

Je lui offre une oreille attentive. « Alors, si tu en as envie, je serai heureuse de t’écouter. »

Et au cours des heures suivantes, elle me raconte son histoire. Une histoire déférente de la mienne. Mais les thèmes sont similaires : impuissance ; mal équipée pour aimer et servir ; pas d’histoire mirobolante à raconter ; difficulté à travailler avec les autres missionnaires ; sentiments d’échec.

Soudain, quelque chose clique en moi.

Raconte les années de labeur du Seigneur Raconte la souffrance qu’il a portée
Méprisé et affligé, l’Homme de douleur a été pauvre, sans foyer, et rejeté*.

Jésus a mené une vie d’amour et de service envers les autres. Il comprenait que le standard du ministère consistait à trouver joie et satisfaction dans cette vie d’amour et de service. Mais que penser lorsque la Perfection même semble échouer — bien que l’amour triomphe en n ? Lorsque parfois, un succès évident dans le ministère aboutit – en apparence – à un échec ?

J’imagine que Jésus ressentit une profonde douleur en songeant à la mort de son cousin en prison et à celle de son ami Lazare (Mt 14.10-13 ; Jn 11.34-36) ; qu’il se sentit triste et rejeté lorsque les autorités de la ville le supplièrent de quitter leur territoire alors qu’il désirait vivement y guérir ceux qui souffraient (Mc 5.17) ; qu’il fut déçu et frustré parce que ses mobiles étaient constamment mal interprétés (Lc 9.54-56 ; Jn 6.15) ; et qu’il fut blessé profondément par la trahison de ses amis les plus proches (Jn 18.17). Son histoire atteignit son point culminant lorsque ceux qu’il était venu sauver lui tournèrent le dos, et que le cœur brisé, il rendit l’âme dans la culpabilité et la honte (Ps 69.21,22). Pour tous les témoins de cette scène, Jésus échoua lamentablement.

Mais alors que je compare mon histoire à celle de mon Seigneur, elle prend tout son sens. Je suis un être humain brisé passant par une quantité d’émotions négatives et d’échecs. Jésus est venu ici-bas pour être à mes côtés, pour faire mon expérience, pour être mon frère dans la souffrance de l’humanité. À travers son histoire, je peux saisir une foi et une espérance qui ne sont pas miennes, et comprendre que, même dans un échec apparent et une immense douleur, il existe un ensemble plus grand du tableau — un triomphe que Dieu a promis de m’accorder. La nature même de l’espérance implique que si je pouvais la voir, elle ne serait plus l’espérance (Rm 8.24). Une histoire est-elle moins significative lorsque, n’aboutissant pas à un succès évident, elle est plutôt une histoire d’espérance dans le triomphe ultime de l’amour ?

Il est important, il est essentiel d’aller dans les champs missionnaires outre-mer. Mais croyez-moi, cela n’a rien de prestigieux ni de romantique. Je suis la même là-bas qu’ici, bien que vivre à l’extérieur de ma culture ampli e mes faiblesses de caractère et mes échecs. Et je me demande si certaines des fausses conceptions que l’Église véhicule au sujet des missions outre-mer ne seraient pas imputables aux histoires missionnaires époustouflantes que l’on raconte pour rassurer une Église satisfaite d’elle que l’Évangile va de l’avant. La réalité, elle, est toute autre : les missionnaires ne peuvent pas toujours voir les progrès de l’Évangile. Devant autant d’échecs apparents, ils ont souvent besoin d’encouragement.

Bien que je ne puisse retourner dans la mission outre-mer actuellement, je tire encore beaucoup de leçons de mon séjour là-bas. Le champ missionnaire n’est pas un endroit où je vais, ni un projet que j’exécute. C’est un état d’être résultant d’un espace que Jésus fait dans mon cœur pour que son histoire puisse rayonner… L’histoire de la fraternité dans l’a iction et la souffrance… L’histoire de la honte… L’histoire de l’échec… Et finalement, par sa grâce, l’histoire de la guérison et du triomphe de l’amour qui se sacrifie.

Racontez-moi l’histoire de Jésus ! Gravez-en chaque mot dans mon cœur ; racontez-moi l’histoire d’une infinie valeur, L’histoire la plus douce jamais entendue.

* Frances J. Crosby, « Tell Me the Story of Jesus », The Seventh-day Adventist Hymnal, Hagerstown, Md., Review and Herald Pub. Assn., 1985, n° 152.

Kelsey Belcourt, infirmière, a séjourné en Amérique du Sud et en Afrique. Elle est en voie d’obtenir sa maîtrise en sciences infirmières – infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne, de l’Université de la Californie, à Davis, aux États-Unis, en juin 2018.

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