Butinage scientifique ? En tant qu’adventistes, nous rendons-nous coupables de butinage – en choisissant juste les résultats scientifiques qui correspondent à nos besoins confessionnels ?
L’Église adventiste a embrassé avec enthousiasme de nombreux aspects de la science. Elle dirige 733 établissements de santé, ce qui fait d’elle le réseau intégré d’hôpitaux et de cliniques protestant le plus vaste au monde1. En nous dotant d’équipements et de procédures de pointe, nous avons fréquemment pavé la voie. Et pour répandre l’Évangile, nous avons aussi adopté avec enthousiasme les technologies de télécommunication les plus récentes. Commençant par la presse écrite, nous sommes rapidement passés à la radio à ondes courtes, puis à la télévision, au satellite, à Internet et aux médias sociaux dès que ces technologies sont devenues disponibles.
Cependant, nous semblons avoir une approche incohérente de la science. Nous acceptons des découvertes ou des conclusions scientifiques qui appuient notre ministère de la santé et notre œuvre évangélique. Par contre, nous rejetons nombre d’autres conclusions scientifiques significatives largement acceptées par la communauté scientifique. En voici un exemple flagrant : la théorie générale de l’évolution, doublée de ses mécanismes néo-darwiniens et de son ascendance biologique commune. Notre rejet de l’évolution biologique s’accompagne souvent d’un scepticisme fort répandu – de rejet même – à l’égard de la cosmologie du Big Bang et de l’âge géologique de notre planète couramment acceptés. Ce rejet est légitime, tel que nous le démontrerons dans cet article. Cependant, certains estiment qu’il s’agit d’une approche incohérente de la science. Nous rendons-nous coupables de butinage – en choisissant juste les résultats scientifiques qui correspondent à nos besoins confessionnels ?
C’est ce que pense l’éminent évolutionniste théiste Howard van Till : « Les attitudes incohérentes que manifestent actuellement de nombreux chrétiens envers les sciences sont fort déroutantes. Habituellement, les chrétiens agissent conformément à leur grande confiance en la compétence et l’intégrité professionnelle des sciences naturelles – confiance en leurs hypothèses de travail, leur méthodologie, leurs collectes et leurs interprétations de données, et en leur formulation et leur évaluation de théories à l’égard de la nature et du fonctionnement actuel de l’univers […] Mais que se passe-t-il quand cette même communauté de naturalistes, utilisant les mêmes hypothèses et la même méthodologie, et appliquant les mêmes principes de la formulation de la théorie et de l’évolution, consacre une partie de son attention pour reconstruire l’histoire de la formation de l’univers ? […] Chose remarquable, beaucoup d’entre eux – plus spécifiquement le camp créationniste privilégiant la théorie d’une terre jeune – choisissent de rejeter la conclusion de la vaste majorité des naturalistes en raison de convictions a priori découlant d’une lecture particulière du texte biblique2. »
Van Till poursuit : « Je trouve cette incohérence d’attitude totalement indéfendable. » Dans ce commentaire, l’exaspération de Van Till est presque palpable !
La question cruciale, cependant, est de savoir si la méthode scientifique arrive toujours à des conclusions objectivement vraies. Si certaines théories scientifiques sont objectivement fausses, alors il convient de choisir les conclusions scientifiques qui sont vraies et de rejeter les fausses. Ceci soulève une question, toutefois : la méthode scientifique peut-elle jamais arriver à des conclusions objectivement fausses ? Comment savoir où se trouve réellement la vérité ?
Il existe maintes raisons pour lesquelles la méthode scientifique ne tire pas nécessairement de conclusions objectivement vraies. Soulignons que la science a incroyablement réussi à nous amener à comprendre la façon dont Dieu soutient normalement l’univers – ce dont nous devrions être vraiment reconnaissants. Elle a, cependant, ses limites. Il est possible pour la méthode scientifique de produire des explications naturalistes qui soient objectivement fausses. Penchons-nous sur ces raisons.
1. DES HYPOTHÈSES INVÉRIFIABLES
En premier lieu, la méthode scientifique peut arriver à une fausse conclusion en raison d’hypothèses invérifiables. Dans le cas de l’étude des origines, les hypothèses qui doivent être faites dans un modèle scientifique incluent :
Les conditions initiales. Pour n’importe quel modèle scientifique, les conditions initiales du système sont sujettes à des hypothèses.
Les taux de changement. Les taux de changement qui surviennent dans les processus à l’intérieur du système sont sujets à des hypothèses.
Le système ouvert ou fermé. Lorsqu’on modèle un système, il faut déterminer si les hypothèses seront formulées dans un système ouvert ou fermé, par rapport aux entrées et aux sorties.
Dans le cadre d’une étude scientifique particulière, certaines ou la totalité de ces hypothèses peuvent être fausses – ce qui signifie que la conclusion de l’étude le sera tout autant.
2. DES PREUVES LIMITÉES
Tandis que la somme de données dont nous disposons sur le monde naturel est vraiment astronomique et croissante, la réalité est que ce n’est qu’à partir d’une base limitée de preuves que seront tirées les conclusions scientifiques. La possibilité que des preuves supplémentaires renversent le consensus scientifique du moment, et cela dans n’importe quel domaine, n’est jamais à écarter. C’est ce que Galilée démontra lorsque tournant son télescope artisanal vers Jupiter, il découvrit des lunes en orbite autour de notre voisine gazeuse géante. Ce fait souligne donc la nature provisoire des conclusions scientifiques.
3. UNE SOUS-DÉTERMINATION SCIENTIFIQUE
Encore plus fondamentale est la réalité que les preuves disponibles ne sont pas suffisantes pour déterminer si l’on devrait adopter une théorie scientifique particulière. Dès le 17e siècle, ce problème a été identifié par le philosophe allemand Gottfried Leibniz. Dans sa correspondance avec le mathématicien suisse Jacob Bernoulli, il fait remarquer qu’il existe un nombre infini de courbes qui pourrait répondre à un ensemble limité d’observations sur la trajectoire d’une comète3.
Lorsqu’il existe des explications rivales empiriquement équivalentes, les preuves sur lesquelles ces explications se fondent n’écartent pas l’explication objectivement vraie, et par conséquent, relèguent les explications rivales au tas d’ordures scientifiques. Ceci est particulièrement significatif lorsque la Bible a des explications surnaturelles pouvant expliquer, elles aussi, les preuves disponibles. Le problème de la sous-détermination scientifique signifie que ces preuves ne pointent pas sans équivoque vers l’explication naturaliste standard. On ne peut donc pas dire que le poids de la preuve pointe vers la conclusion scientifique largement acceptée. Ainsi, il peut être possible pour une étude scientifique de promouvoir une explication naturaliste qui, bien que considérant une bonne partie des preuves disponibles, reste quand même fausse.
4. UN NATURALISME MÉTHODOLOGIQUE
Il est d’une importance vitale de noter que la plupart des individus composant la communauté scientifique croient que la science devrait être attachée au naturalisme méthodologique. Autrement dit, ils croient qu’une étude scientifique devrait être menée sans faire appel à Dieu, aux miracles ou à un livre religieux.
Par exemple, si, alors qu’un psychologue étudie des modèles de santé mentale au sein de la population étudiante de l’université de Sydney, un segment entier de la communauté étudiante se met à délirer et à se comporter de façon irrationnelle, il est improbable qu’un journal de psychologie de référence, quel qu’il soit, acceptera un rapport de ce psychologue proposant une manifestation de possession démoniaque parmi cette population étudiante.
Cependant, ce n’est pas parce que la science n’évoque pas systématiquement les miracles que des miracles ne se produisent jamais ! En fait, il reste une grande question : comment le naturalisme méthodologique peut-il expliquer le surnaturel4 ? Cela découle du fait que le naturalisme méthodologique assume que dans toutes les études scientifiques, nous devrions développer une explication naturaliste, sans corroborer, toutefois, qu’une explication surnaturelle n’est pas l’explication objectivement vraie dans une situation donnée. Stephen Dilley a mis le doigt sur le problème lorsqu’il a indiqué qu’en toute logique, il est incohérent d’affirmer que le naturalisme méthodologique puisse infirmer les miracles simplement en présumant qu’ils ne se produisent pas5.
Ceci dit, certains scientifiques peuvent s’objecter en disant que par définition, la science est engagée envers le naturalisme méthodologique. Cependant, comme le souligne de façon humoristique le philosophe analytique Alvin Plantinga, « il est difficile de voir comment quelque chose, tel un débat raisonnablement musclé au sujet de ce que la science est et n’est pas, pourrait se régler simplement en recourant à une définition6. »
Les philosophes J. P. Moreland et William Lane Craig expliquent pourquoi il en est ainsi. Ils constatent que le naturalisme méthodologique « repose sur une ligne de démarcation entre la science et la non-science ou pseudo-science, ligne qui consiste en la formulation d’un ensemble de conditions nécessaires et/ou suffisantes pour que quelque chose soit considéré comme une science. Personne n’a jamais pu tirer une telle ligne de démarcation : une telle chose n’existe pas7. »
Ceci veut dire que la méthode scientifique, lorsque restreinte au naturalisme méthodologique, pourrait produire une fausse explication naturaliste. Et il en serait ainsi dans le cas où un miracle s’est produit.
5. DES PRESSIONS SOCIOLOGIQUES
Bien que l’expression « pression des pairs » évoque avant tout un problème relatif aux adolescents, la communauté universitaire n’échappe pas aux pressions sociologiques. En effet, un étudiant universitaire doit se conformer aux paradigmes courants pour être sujet à la promotion académique et obtenir des subventions de recherche. J. P. Moreland remarque : « Nous savons tous qu’un groupe de médecins dans un domaine quelconque peut être aveuglé de deux façons. Premièrement, la formation de ces médecins peut les amener à voir certains phénomènes d’une certaine manière. Étant fortement endoctrinés, il leur est impensable de considérer d’autres façons d’interpréter les données, ni d’être ouverts à des interprétations autres. Bref, un groupe homogène peut être aveuglé par la force sociale de son uniformité et développer un esprit qui se ferme à la suggestion que ses vues peuvent être inadéquates. Deuxièmement, ces médecins peuvent être aveuglés lorsque le phénomène en question est au cœur des questions religieuses et éthiques, et que la vision majoritaire fait une œuvre importante pour la communauté des médecins en justifiant leurs styles de vie éthique et religieux.
« Aucun de ces facteurs ne suppose que l’opinion majoritaire soit fausse ou irrationnelle ; cependant, il existe nettement des dangers ici, et l’acceptation scientifique de l’évolution rencontre les deux critères. Parce qu’il en est ainsi, et parce qu’il n’est simplement pas vrai que la théorie évolutionniste a été de plus en plus confirmée par des preuves ou employée fructueusement pour rassembler de nouvelles découvertes empiriques inexplicables sans la théorie évolutionniste, il n’existe alors aucune incohérence dans le fait que des gens font confiance à leur médecin ou aux experts en informatique en matière de médecine et de logiciels, mais ne font pas confiance aux scientifiques évolutionnistes dans la description des mécanismes qui ont généré les choses vivantes8. »
Pouvant ainsi être aveuglés par ces pressions, les scientifiques séculiers peuvent, pour la plupart, être incapables de discerner ce qui est objectivement vrai. Par conséquent, le consensus scientifique à l’égard de la meilleure explication des origines pourrait être faux et de ce fait, pourrait devoir être rejeté.
UN SOPHISME GÉNÉTIQUE
La préoccupation que les adventistes sont incohérents en étant sélectifs à l’égard des conclusions scientifiques fait preuve, en vérité, d’une fausse logique informelle connue sous le nom de sophisme génétique. Un sophisme génétique se produit chaque fois qu’on prétend qu’il faut accepter une idée simplement sur la base de sa source ou du processus par lequel elle a été développée. Dans ce cas, les évolutionnistes théistes prétendent que nous devrions accepter les théories scientifiques sur la base qu’elles résultent de la méthode scientifique et ont été adoptées par un consensus scientifique. C’est là un sophisme génétique. C’est exactement l’inverse de ce que Nathaniel répondit lorsque Philippe, rempli d’enthousiasme, lui avait annoncé qu’ils avaient trouvé le Messie – Jésus de Nazareth ! Plutôt que de dire « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » (Jn 1.46, S21), les évolutionnistes théistes disent : « Peut-il sortir quelque chose de mauvais de la science ? »
Bien entendu, nous ne voulons pas rejeter arbitrairement certaines théories scientifiques tandis que nous en adoptons tant d’autres. Par conséquent, sur quel terrain rejetterions-nous donc les théories scientifiques standards sur les origines ? Ceci nous mène à la nature très spéciale du livre inspiré que Dieu nous a si gracieusement donné. Il y a des milliers d’années, le Saint-Esprit a inspiré les auteurs bibliques alors qu’ils rédigeaient les saintes Écritures. Et aujourd’hui, il confirme la vérité des enseignements bibliques dans notre cœur tandis que nous lisons la Parole de Dieu. La nuit précédant sa crucifixion, Jésus nous laissa une magnifique promesse : « Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité » (Jn 16.13)9.
Pour Jean Calvin, la Bible s’authentifie elle-même : « Que ce point, par conséquent, demeure : que ceux à qui le Saint-Esprit a vraiment enseigné se reposent sur les Écritures, et que ces Écritures, en vérité, s’authentifient elles-mêmes10. »
Ellen White confirme la nature essentielle de cette œuvre propre à authentifier du Saint-Esprit : « Le Saint- Esprit nous conduit toujours vers la Parole écrite. Le Saint-Esprit est une personne, car il rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Quand ce témoignage est rendu, il établit lui-même sa propre véracité. À ce moment-là, nous croyons et nous avons l’assurance que nous sommes enfants de Dieu11< /sup>. »
En outre, l’influent philosophe analytique Alvin Plantinga a pavé la voie en portant la nature « auto-authentifiante » des enseignements bibliques à l’attention de la communauté universitaire. Il a noté que les vérités bibliques « ont leurs preuves immédiatement – c’est-à- dire non à titre de preuves propositionnelles. Ils n’obtiennent pas leurs preuves ou leurs garanties à titre de croyances basées sur les preuves d’autres propositions<sups.12. »
En nous appuyant sur ce que nous avons dit jusqu’ici, nous pouvons affirmer que par l’œuvre du Saint-Esprit, nous pouvons avoir confiance en la véracité des enseignements de la Bible – même lorsque des conclusions scientifiques tentent de nous amener à croire autrement.
Le butinage est inapproprié lorsque arbitraire et injustifiable. Notre but en tant qu’adventistes, néanmoins, c’est de croire ce qui est objectivement vrai au sujet du monde que Dieu a créé. Ceci veut dire qu’ultimement, le consensus scientifique sur nos origines ne retient pas notre attention. Ce que nous cherchons, c’est la vérité objective sur nos origines. Puisque la Parole de Dieu est la vérité et que Jésus a promis que le Saint-Esprit nous guiderait dans toute la vérité, nous sommes justifiés d’accepter la vérité biblique sur nos origines, même si cela nous amène à rejeter toute conclusion scientifique entrant en conflit avec les enseignements de la Bible.
Sven Östring (titulaire d’un doctorat de l’université de Canterbury, en Nouvelle-Zélande) est directeur des Mouvements du discipulat pour la Fédération du Grand Sydney, à Epping, en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Il a achevé un cycle d’études postdoctorales sur l’optimisation des réseaux à anneau optique. Son courriel : SvenOstring@adventist.org.au
NOTES ET RÉFÉRENCES
- http://press.adventist.org/en/.
- Howard J. van Till, « The Fully Gifted Creation (‘Theistic Evolution’) », dans Three Views on Creation and Evolution, Zondervan, Grand Rapids, Mich., 1999, p. 182, 183.
- Hacking Ian, The Emergence of Probability: A Philosophical Study of Early Ideas About Probability, Induction and Statistical Inference, 2e éd., Cambridge University Press, Londres, 2006, p. 164.
- Robert Larmer, « Is Methodological Naturalism Question-Begging? », Philosophy Christi 5, 2003, 1:113–130. Disponible sur le site http://epsociety.org/library/articles.asp?pid=80.
- Stephen Dilley, « Philosophical Naturalism and Methodological Naturalism: Strange Bedfellows? », Philosophia Cristi 12:1, 2010, p. 128.
- Alvin Plantinga, « Methodological Naturalism? Part 2 », Origins & Design 18:2, 1997, p. 22–34 (italique dans l’original). Les deux parties de l’article sont disponibles sur le site http://www.arn.org/docs/odesign/od181/methnat181.htm (1ère partie); et http://www.arn.org/docs/odesign/od182/methnat182.htm (2e partie).
- J. P. Moreland et William L. Craig, dans Philosophical Foundations for a Christian Worldview, Intervarsity Press, Downers Grove, Ill., 2003, p. 359.
- J. P. Moreland, « Response to Howard J. van Till », dans Three Views on Creation and Evolution, p. 231, 232.
- Sauf mention contraire, toutes les citations des Écritures sont tirées de la version Louis Segond 1910.
- John Calvin, Institutes of the Christian Religion, I.vii.5.
- Ellen G. White, Ms. Release n°20, 1906, p. 68.5.
- Alvin Plantinga, Warranted Christian Belief (Oxford: Oxford University Press, 2000), 262. Plantinga’s full analysis of how Christian beliefs are warranted is provided in Chapters 6–9, pages 167–323.
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