La fonction sociale de l’école adventiste est tout autant conservatrice que révolutionnaire. L’amalgame de ce double rôle permet à l’étudiant en développement d’être dans le monde sans être du monde.
Avant de creuser dans les détails la fonction sociale de l’éducation adventiste, il nous faut considérer la fonction de la transmission culturelle de l’éducation. Nous découvrons cette fonction dans la Bible. Abraham fut choisi parce que Dieu vit qu’il serait fidèle dans l’enseignement aux membres de sa maison (Gn 18.19). Dieu, par le biais de Moïse, donna aux Israélites un système éducatif touchant chaque phase de leur vie. Quant à Jésus, ses dernières paroles avant de monter au ciel furent « enseignez-leur [à toutes les nations] » (Mt 28.19, 20).
LE RÔLE STRATÉGIQUE DE L’ÉDUCATION
Dans toute société, l’éducation occupe une position stratégique parce que tous les jeunes doivent passer à travers un certain type d’expérience éducative les préparant à assumer des postes de responsabilité au sein de la société. L’avenir de n’importe quelle société sera modelé par sa jeunesse. Et la direction que les jeunes donneront à cette société sera, dans une grande mesure, déterminée par leur éducation. Ainsi, le contrôle des établissements d’enseignement et le contenu devant y être enseigné ont constamment constitué une question sociale.
Par ailleurs, George S. Counts a remarqué que « modeler une politique éducative, c’est garder le sentier qui mène du présent à l’avenir. […] Au fil des siècles, depuis l’établissement d’agences éducatives spéciales, rois, empereurs et papes, rebelles, réformateurs et prophètes ont apprécié la position stratégique de l’école. De ce fait, une lutte pour le contrôle de l’école demeure manifeste au sein de ces forces opposées composant toute société complexe. Chaque groupe ou secte s’efforce de transmettre à ses propres enfants et aux enfants des autres la culture à laquelle il/elle adhère ; et chaque classe privilégiée cherche à perpétuer sa position dans la société au moyen de l’éducation1. »
De même, a observé Counts, l’échec des révolutions se veut un bilan de leur incapacité à mettre l’éducation au service de la cause révolutionnaire. En effet, s’ils n’arrivent pas à persuader les enfants de la prochaine génération d’embrasser les valeurs de la révolution, les organes révolutionnaires ne posséderont pas plus de permanence que les petits groupes d’idéalistes qui les ont conçues. Par conséquent, tant l’histoire des Soviétiques que celle des nazis a démontré que l’une des premières mesures prises par les gouvernements révolutionnaires est de placer toutes les instances éducatives sous le contrôle direct de l’État, et de donner aux écoles un rôle central dans l’établissement de la nouvelle société2.
Bien entendu, une logique semblable a stimulé, entre autres, la formation du système éducatif démocratique américain. Et dans cette logique, nous trouvons la genèse de l’intérêt adventiste pour l’éducation dans toutes ses formes. Ellen White a repris cette notion en ces termes : « Avec l’armée que formeraient nos jeunes, bien préparés, […] [comme] la fin viendrait vite – la fin de la souffrance, du chagrin, du péché ! Au lieu de possessions terrestres, marquées par le mal et la douleur, nos enfants recevraient bientôt l’héritage divin : “Les justes posséderont le pays et ils y demeureront à jamais3< /sup>.” »
LES RÔLES CONSERVATEUR ET RÉVOLUTIONNAIRE DE L’ÉDUCATION ADVENTISTE
L’idéal divin pour l’éducation adventiste reflète à la fois une fonction sociale conservatrice et une fonction sociale révolutionnaire. Elle se doit d’être conservatrice dans le sens où elle cherche à transmettre les vérités immuables de la Bible à travers le temps, mais révolutionnaire en tant qu’agent de changement d’un Dieu juste dans un monde coupable.
Dans son aspect révolutionnaire, elle cherche à changer le statu quo au niveau individuel par la conversion : les êtres humains passent de leur ancienne manière de vivre à la manière chrétienne. Transformation, conversion, ainsi que mort et renaissance sont certains des mots que la Bible applique à la dynamique du christianisme tandis qu’il transforme la vie des individus, les faisant passer du nombrilisme à un service envers Dieu et leurs semblables.
Mais le changement au niveau individuel n’est qu’un aspect du rôle révolutionnaire de l’Église, laquelle doit être aussi un agent de changement plus vaste dans la lutte actuelle pour la justice sociale. L’idéal divin comprend non seulement de nourrir les pauvres (Mt 25.31-46), mais aussi de contribuer, par le biais d’une réforme sociale, à faire de cette terre un endroit où il fait bon vivre.
Il faut le répéter : le rôle révolutionnaire de l’éducation adventiste ne doit pas s’arrêter là. Selon la Bible, la réforme sociale, en dépit de tous ses bons points, ne suffit pas à redresser un monde tortueux gouverné par les forces du péché et la cupidité humaine. La seule solution réelle et finale au problème du péché, tel que le décrit la Bible, c’est le retour de Jésus. Cette vérité que présentent les Évangiles (voir Mt 24) se démarque surtout dans le livre de l’Apocalypse. Ce livre indique en particulier la solution divine aux malheurs de la terre. Ainsi, le point culminant de la fonction révolutionnaire de l’Église ne consiste pas simplement à faire passer les gens d’un égoïsme coupable à une vie de service, ou à en faire des agents de changement pour la réforme terrestre, mais aussi à prêcher un message contribuant à préparer le monde pour la fin de l’histoire de la terre et pour l’établissement d’une nouvelle terre érigée sur les principes divins. Cette nouvelle terre ne surgit pas suite aux efforts humains, mais à l’intervention divine dans l’histoire humaine par la seconde venue du Christ. Cet événement, c’est l’Événement des événements dans l’histoire du monde, l’ultime révolution.
Dès ses débuts, l’adventisme s’est considéré lui-même comme un agent de Dieu dans cette ultime révolution. Il a discerné tout particulièrement son appel à être le prédicateur du message des trois anges – message au cœur même du livre de l’Apocalypse (Ap 14.6-12) et que Dieu a ordonné de donner immédiatement avant le second avènement (v. 14-20). Ce message mondial appelle les êtres humains à revenir à la fidélité envers Dieu, alors même que les sociétés humaines avancent vers leur fin ultime. C’est un message du Christ qui revient – lequel non seulement nourrira le pauvre, mais encore abolira la faim ; non seulement réconfortera ceux qui souffrent, mais encore éradiquera la mort (Ap. 21.1-4). L’adventisme a été appelé à prêcher à un monde perdu l’ultime espérance qui, en comparaison, rend les autres insignifiantes.
L’adventisme a pour objectif central de prêcher cette ultime espérance. Et l’établissement d’écoles adventistes a pour objectif principal de préparer les êtres humains pour cet événement et pour la tâche qui consiste à répandre l’Évangile du Sauveur qui vient.
À l’intérieur de ce contexte apocalyptique révolutionnaire, la fonction conservatrice de l’éducation adventiste est double : 1) transmettre l’héritage de la vérité biblique et 2) fournir une ambiance sécurisée où cette transmission peut s’effectuer, où les valeurs chrétiennes peuvent être communiquées aux jeunes par le programme officiel et les aspects informels du programme éducatif, tels que le groupe de pairs et les activités parascolaires.
L’Église chrétienne et ses adhérents ont un rôle unique : être dans le monde sans être du monde (Jn 17.14-18). La façon d’accomplir ce rôle apparemment contradictoire constitue, depuis l’époque du Christ, un défi pour l’Église.
Le fil séparatiste du paradoxe a conduit l’Église à établir des ambiances sécurisées pour ses jeunes pendant leurs années de formation, telles que des écoles confessionnelles et des groupes de jeunes. De telles agences servent de refuges où les jeunes issus de familles adventistes peuvent acquérir des compétences, des attitudes, des valeurs, et le savoir sans être submergés par la vision du monde et les mœurs culturelles de l’ensemble de la société. L’ambiance dans laquelle ces activités prennent place est conçue pour être propice au transfert de la culture adventiste à la génération plus jeune. Parents et membres d’Église sont désireux de soutenir financièrement ce type d’éducation parce qu’ils reconnaissent qu’il diffère philosophiquement du milieu culturel de l’ensemble de la société et qu’ils sont convaincus que la vision du monde adventiste est la bonne en termes de métaphysique, d’épistémologie et d’axiologie.
Considérée d’un tel point de vue, l’école adventiste n’est pas en premier lieu une agence évangélique pour convertir les incroyants (même si ce peut être un résultat secondaire), mais plutôt pour aider les jeunes issus de foyers adventistes à rencontrer Jésus et à lui abandonner leur vie. Est implicite dans cette fonction une prise de conscience distincte que si la majorité d’un groupe d’étudiants dans une école confessionnelle n’épouse pas les valeurs adventistes, alors la mission spirituelle de l’école ne sera sans doute pas accomplie. La fonction conservatrice de l’éducation adventiste fournit, par conséquent, une ambiance sécurisée pour prendre soin des jeunes de l’Église ; ainsi qu’un environnement où toutes les valeurs, les compétences et les aspects du savoir peuvent être enseignés à partir d’une perspective philosophique adventiste.
Au-delà de la fonction conservatrice de l’éducation adventiste, se situe son rôle révolutionnaire. Au début de l’ère chrétienne, Christ, par le biais de son grand mandat évangélique, envoya ses disciples dans le monde entier pour faire de toutes les nations des disciples et leur enseigner tout ce qu’il leur avait prescrit (Mt 28.19, 20). Et à la fin de l’ère chrétienne, Christ a ordonné que la bonne nouvelle du salut, le second avènement, et le jugement à venir soient aussi prêchés « à toute nation, à toute tribu, à toute langue, et à tout peuple » (Ap. 14.6). Si le mandat évangélique de Matthieu 28 a été prêché par l’ensemble du christianisme, en revanche, l’Église a négligé l’impératif d’Apocalypse 14. Or, ce dernier mandat est la raison d’être même de l’adventisme. Dès ses débuts, l’Église a cru qu’elle avait un mandat unique, à savoir prêcher le message des trois anges d’Apocalypse 14.6-12 à toute la terre avant le second avènement (v. 14-20). Tandis que l’histoire de la terre touche à son terme, le message de l’adventisme se veut un appel à la fidélité envers Dieu. L’impératif évangélique d’Apocalypse 14 a littéralement propulsé l’adventisme dans tous les coins de la terre.
L’ÉDUCATION ADVENTISTE EN TANT QU’AGENT DE CHANGEMENT
Trop souvent, les Églises chrétiennes (y compris l’Église adventiste) ont fonctionné en tant que bastions conservateurs de la société plutôt qu’en tant qu’agents de changement. La Bible nous montre clairement que la vie de Jésus doit être perçue non comme un agent de conservation, mais plutôt comme un agent de changement modelant. Le Seigneur était le Réformateur des réformateurs. Et il a appelé un peuple à devenir agent de changement dans sa mission en cours.
Les fonctions conservatrices d’une école chrétienne sont importantes parce qu’elles jouent un rôle dans la tâche révolutionnaire de l’Église, tâche qui consiste à préparer ses jeunes à devenir des ouvriers évangéliques. Ceci ne veut pas dire, insistons-nous, que tous les étudiants seront éduqués en vue d’un emploi au sein de l’Église. Chacun sera formé, toutefois, à être un témoin de l’amour de Dieu dans un monde coupable, peu importe ses objectifs de carrière.
À ce titre, l’école adventiste peut être considérée comme le théâtre de l’activisme chrétien et de l’œuvre missionnaire. Elle fournit, idéalement, non seulement la connaissance sous-jacente de l’impératif évangélique de l’Église, mais aussi des activités pratiques dirigées au sein de la communauté plus large assurant que les étudiants développent les compétences nécessaires pour aborder les gens avec le message de Jésus et pour jouer leurs rôles individuels dans le contexte de l’Église de Dieu sur la terre. Edward Sutherland a écrit que conformément au plan de Dieu, « l’école chrétienne devrait être la pouponnière dans laquelle les réformateurs naissent et sont élevés – des réformateurs qui iront de l’avant dès l’école, brûlant d’un zèle pratique et remplis d’enthousiasme alors qu’en tant que dirigeants, ils prennent leur place dans ces réformes4. »
En résumé, la fonction sociale de l’école adventiste est tout autant conservatrice que révolutionnaire. L’amalgame de ces deux rôles permet à l’étudiant en développement d’être dans le monde sans être du monde. En essence, l’école adventiste a pour fonction d’éduquer les jeunes de l’Église pour le service de Dieu et de leurs semblables, et non pour le libre-service à travers l’acquisition d’un « bon boulot » et d’un revenu confortable. Ce revenu, bien entendu, peut être un sous-produit de l’éducation adventiste ; cependant, il n’est pas au cœur de son objectif. Le service envers les autres était l’essence même de la vie du Christ. Il est donc l’ultime objectif de l’éducation adventiste. En harmonie avec la Bible, l’éducation adventiste développera les chrétiens pour qu’ils établissent de bons rapports avec leurs semblables. Mais plus important encore, les écoles adventistes éduqueront les étudiants en vue de leur citoyenneté dans le royaume des cieux.
De George R. Knight, enseignant en philosophie de l’éducation et de l’histoire de l’Église à l’université Andrews pendant 30 ans. Il a écrit et publié près de 90 ouvrages. Ses titres les plus importants sur le thème de l’éducation sont Early Adventist Educators (1983), Philosophy and Education: An Introduction in Christian Perspective (4e éd., 2006), et Myths in Adventism (1985, 2009).
Source : « La fonction sociale de l’Éducation Adventiste », Dialogue 29 (2017/1), p. 6-9
- J. Crosby Chapman et George S. Counts, Principles of Education, Houghton Mifflin, Boston, 1924, p. 601, 602.
- Voir George S. Counts, The Soviet Challenge to America< /i>, John Day, New York, 1931, p. 66, 67.
- Ellen G. White, Éducation, p. 304.
- E. A. Sutherland, Studies in Christian Education: Educational Experiences Before the Midnight Cry Compared With Educational Experiences Before the Loud Cry, Eusey Press, [1952], Leominster, Mass., p. 72.
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