La Suisse est le premier pays en dehors de l’Amérique du Nord à avoir accepté le message adventiste et c’est à Tramelan qu’a été établie la première église adventiste du monde, hors des États-Unis.
Suite et grâce au travail en profondeur de Michael Belina Czechowski, la famille Roth a décidé de financer la construction d’un lieu de culte. Gustave Roth écrivait dans la Revue adventiste du 1er avril 1937, p. 12-13 : « Tramelan a été le berceau de la réforme adventiste en Europe. Notre petite église est devenue une école de formation pour les travailleurs, qui ont fini par se propager dans le monde entier. » Le biologiste Ariel Roth, ancien directeur du Geoscience Research Institute, à l’Université de Loma Linda, me disait avec un grand sourire en juillet dernier dans cette même université: « Souvenez-vous que c’est mon grand-père qui a financé la construction de l’église de Tramelan qui a été inaugurée le samedi 25 décembre 1886. » C’est Ellen White qui a conduit le service d’inauguration et qui a prêché ce jour. Le 17 août 1968, les membres de l’église de Tramelan ont occupé des locaux plus grands.
Depuis le 18 août 2014, le bâtiment d’origine appartient à nouveau à l’Église et il est considéré comme un lieu où une partie importante de l’histoire du mouvement adventiste a été faite. A diverses reprises j’ai accompagné mon père dans cette humble bâtisse lorsqu’il y prêchait dans les années 60.
L’administration de l’Église, dans cette région de l’Europe, a créé un fonds d’éducation en 1892 et ce fut en Suisse principalement que les premières formations bibliques en français se sont tenues, à Peseux, près de Neuchâtel, de 1893 à 1894, à La Chaux-de-Fonds en 1895, à Genève en 1901.
Ce fut en 1904, date de l’achat de la propriété de La Lignière, qu’une école missionnaire fut ouverte en même temps qu’une école de gardes-malades. Alfred Vaucher a dispensé ses cours de Bible à Gland en 1920-1921. C’est en 1921 que la propriété de Collonges a été achetée. J’ai eu le privilège de côtoyer Alfred Vaucher, non seulement lors de mes études à Collonges, mais également au cours de mon ministère pastoral à Gland. Alfred-Félix Vaucher est né le 18 mars 1887 dans le Piémont. Il est le petit-fils de Catherine Revel (1830-1930) qui fut la première adventiste en Europe. Elle s’est convertie en 1885, suite au travail de l’ancien prêtre polonais Czechowski. J’ai eu le privilège de présider aux obsèques d’Alfred Vaucher en 1993; il était dans sa 107e année.
Dans ma jeunesse, j’ai fréquenté toutes les églises de Suisse romande, y compris celles qui n’existent plus (Rolle, Vevey, Tramelan, Saint- Imier, Château-d’Oex, Martigny, Saxon, Lausanne-Tunnel) et je me suis nourri de tant d’enseignements et de réflexions de celles et ceux qui, à l’époque, se donnaient corps et âme pour faire connaître ce beau message de l’Évangile. Je leur dis merci pour ce qu’ils m’ont apporté. Pour beaucoup, ils ne sont plus, et l’on peut ne pas avoir apprécié leur rigidité et leur austérité, mais il ne faut pas oublier que sans eux nous n’aurions pas les églises que nous avons. Ce n’est pas nous les planteurs d’églises, ce sont eux. Ce n’est pas nous les grands baptiseurs, ce sont eux. Ils ont pris des risques pour faire connaître l’amour de Jésus. Certes ils ont travaillé à une époque où la religion était encore un lieu d’intérêt. Ce n’est plus le cas maintenant. Lorsque mon grand-père a entrepris un effort d’évangélisation à Genève, en 1943, avec ses collègues les pasteurs Charles Monnier, René Dällenbach, Théodore Schreyack, assistés de Mical Roth et de mon père, jeune évangéliste, ils ont rempli les mille-deux-cents places du Victoria Hall pendant quatre soirées. Je m’imagine difficilement me présenter à la Ville de Genève pour demander à louer le Victoria Hall pour faire des conférences sur le retour du Christ. Manque de foi ou réalisme ? Mais les temps ont changé et tant mieux si nos aînés ont pu réaliser ce que nous ne pouvons plus faire. C’est bien grâce à leurs efforts, à leur travail et à leur audace que nous pouvons timidement poursuivre ce beau travail.
Faut-il comparer ? Faut-il se lamenter ? Faut-il dire « à mon époque on faisait les choses bien, on était encore consacré, on travaillait sans compter et on avait des résultats, ce n’était pas comme maintenant », sous-entendu « on ne fait plus les choses bien, on n’est plus consacré, on préfère les loisirs au travail et on n’a pas de résultat » ? La comparaison avec le passé est impossible. Je crois que les membres des églises et leurs pasteurs font les choses bien, qu’ils sont consacrés, qu’ils travaillent sans compter, mais nous sommes contraints de constater que quantitativement les résultats ne sont pas les mêmes. Alors à qui la faute ? Faut-il vraiment chercher un fautif?
Inutile ici de lister les changements sociaux, technologiques et professionnels qui nous ont conduits à tant de difficultés en matière d’évangélisation. Nous les connaissons. Mais il est certain que la religion va mal. Elle passe d’un extrême à l’autre et elle n’intéresse plus. La société contemporaine (je laisse le soin aux sociologues de la qualifier de postmoderne – terme ambigu s’il en est) s’intéresse à une recherche spirituelle qui transcende toute forme de religion, qui est le lien entre un être supérieur et sa créature qui lui rend un culte. Le refus de la dépendance et la recherche de l’autonomie semblent motiver les populations des pays industrialisés.
Il reste que nos églises ne s’éteignent pas et ceci s’explique par le faible apport des enfants « nés » dans l’église et par les mouvements migratoires de plus en plus nombreux et provenant de la planète entière. Ces mouvements s’intensifient au rythme de la mondialisation.
La Suisse a été un très gros « producteur » de missionnaires partis sur la planète entière à une époque où le message pouvait être porté aux extrémités de la terre. La société adventiste suisse bénéficie actuellement de l’apport numérique incontestable d’une population inattendue il y a encore quelques années. Certes, la cohabitation n’est pas toujours aisée car les origines culturelles ne sont pas identiques. Pour certains, la référence au passé, en matière de pratiques religieuses, est synonyme de vérité absolue. Je pense par exemple à la liturgie des cultes qui est statique dans certaines communautés et dynamique dans d’autres, au risque d’être qualifiée d’irrespectueuse par les tenants d’un conservatisme débordant. Comme son nom l’indique, la liturgie (leitourgia – leitos = public et ergon = action) est une action du peuple et non du clergé, ce qui implique qu’elle n’est pas sous l’autorité religieuse, mais qu’elle exige une participation du public qui vit le fait religieux influencé par son terreau socio-culturel. Ce qui est vieillot et désuet pour l’un est vérité absolue pour l’autre. Et si une communauté venait à modifier ses formes liturgiques, elle pourrait devenir une pierre d’achoppement pour l’autre. Dans son livre fort intéressant et utile pour nos communautés, Liliane Doukhan, docteure en musicologie et professeure à l’Université Andrews (En harmonie avec Dieu. Perspectives sur la musique d’adoration, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2014) écrit : « Notre époque est caractérisée par un certain nombre d’idées dont nous avons hérité […]. L’une de ces idées, née du romantisme, est que tout ce qui provient du passé a plus de valeur que les choses d’aujourd’hui » (p. 243). Dans ce même contexte liturgique, elle met en garde contre la tradition en disant que « la tradition est parfois mise sur le même plan que l’autorité des Écritures » (p. 373).
Le mélange culturel est une richesse pour l’Église, alors que dans certaines sociétés les guerres ethniques sont une réalité. Que Dieu nous aide à profiter de la richesse de l’autre et que nos églises rayonnent jusqu’au retour du Christ.
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